Dans un monde ou le paradigme de la croissance infinie domine, et où les ressources deviennent de plus en plus contraintes à mesure que la demande humaine exponentielle les réclament, la notion d'autonomie intellectuelle invite à interroger le paradigme dominant. Peut on résoudre les grands problèmes de ce monde si on change de paradigme ?

Un paradigme est une manière de voir le monde, un modèle de pensée, ou pattern mental. Cela mène à la conception théorique dominante qui a cours à une certaine époque, dans une communauté scientifique, ou d'autres catégories socio-culturelles de la population.

Nous sommes influencés par notre éducation familiale, scolaire, universitaire, professionnelle, qui créent des modes de compréhension plus ou moins spécialisés. Des modes de pensée plus ou moins habituels, automatiques. De plus, notre interaction avec les médias a tendance à introduire des croyances sur des faits non vérifiés. l'autonomie intellectuelle est la capacité à se forger une opinion librement, sans subir une quelconque influence

Si on essaie de catégoriser les différentes sources de connaissance à notre disposition, il y a avant tout celle issue de notre expérience. On pourrait l'étiqueter comme savoir vécu. Il est inaliénable, et éminemment subjectif. C'est une source de savoir fiable, modulo les artifices de la mémoire qui néglige certains aspects de cette expérience. Pourtant avec un travail conscient, nous sommes à même de revivre nos expériences mentalement à l'aide de techniques adaptées et avons donc la possibilité théorique de compléter ce savoir vécu.

Une autre catégorie importante est celle de l'information en général qui nous a été rapportée par divers moyens. Cet ensemble vaste d'information pourrait s'appeler le savoir rapporté. Il est par définition plus ou moins fiable ! Pour y voir plus clair dans cet ensemble hétéroclite nous pouvons (devons?) créer des sous catégories : les informations factuelles, les opinions, et les sentiments. Clarifier à quel classe d'information appartient ce qui nous arrive permet de jouer sur les niveaux relatifs de certitude et d'introduire de la relativité dans nos perceptions.

Une autre voie pour gagner en autonomie intellectuelle, ou plus exactement en autonomie de perception, c'est de prendre conscience de notre propre fonctionnement dans le traitement des informations, et de travailler à déceler notamment nos propres biais cognitifs. Travailler à son propre niveau est un fondamental car si les biais informationnels existent autour de nous, nous les utilisons aussi à notre insu. On peut dire que nous sommes dans une quasi impossibilité d'être totalement objectifs et neutres (ie. nous sommes plus ou moins partiaux). Etre conscient de nos buts, valeurs, de notre vision du monde, de nos intentions et de notre état émotionnel et physique du moment aide à clarifier cet aspect.

L'autre voie de progrès et de décrypter ce qui se joue autour de nous : en nous posant des questions.  Quelle peut être l'influence sous jacente de ce message ? Quel effet cela produit sur mon état émotionnel ? Intuitivement, comment je perçois ce message ? Symboliquement, comment je le décrypte ? Rationnellement, qu'est ce que cela raconte ? Entraîner sa capacité à changer de point de vue et s'interroger à différents niveaux est riche de récompenses pour l'autonomie intellectuelle.

Si on se réfère à l'expérience de Milgram, par l'accumulation de biais cognitifs, la majorité des individus peut être amenée à percevoir et agir dans des situations d'une façon qu'elle ne souhaiterait pas d'elle même, si aucune influence n'avait été exercée. Cela induit un questionnement au niveau des intentions. Autrement dit, nous pouvons facilement devenir des objets de la fabrique du consentement, une manière polarisée et biaisée de percevoir la complexité du réel. A ce sujet, voir l'article  le verrou médiatique, qui interroge le peu de diversité de points de vue des medias actuels. L'ingénierie sociale existe depuis un moment (lisez https://en.wikipedia.org/wiki/Social_engineering_(political_science) pour cerner rapidement la notion) il est compliqué d'évaluer à quels niveaux elle s'exerce, mais son existence prouve que nous sommes soumis à des influences.

Dans l'article récent sur la souveraineté numérique nous avons évoqué l'importance de développer la capacité à cibler ses recherches, à analyser les sources, et les évaluer afin de croiser les sources, surtout celles qui sont dissonantes. Il faut alors faire appel au bon sens et à l'intuition, raisonner en ordres de grandeur et se faire le plus librement possible sa propre opinion. Il semble souhaitable se limiter le domaine d'investigation et de creuser au delà de ce que l'on entend communément pour se faire son propre avis.

En résumé, au travers des infos collectées, des questionnements et des investigations, se forger librement et consciemment son opinion c'est une manière de cultiver son autonomie intellectuelle.  Les différents types de savoirs dont vous disposez sont associés en fonction de leur utilité pour vous, pour vous aider à comprendre, à identifier et à solutionner les problèmes, avec des éléments d'information qui vous sont propres. Votre réponse est donc bien souvent différente de celle de votre voisin. A chacun.e de conquérir progressivement son autonomie intellectuelle, cela permettra de réouvrir des possibles en termes d'écoute et de tolérance.