Fascinés par les possibilités qu’offrent nos ordinateurs (de poche, pour la plupart), nous oublions, engloutis par la bulle de confort créée par la machine avec laquelle nous interagissons, le monde réel qui nous environne, et au passage notre intériorité. Et pendant un temps plus ou moins long, nous oublions l’amont qui rend possible cette interaction numérique, dispersée dans le monde entier. Pour aller vite, il faut d’une part des composants électroniques qui vont constituer la partie matérielle de l’ordinateur. D’autre part des logiciels pour les faire tourner et des serveurs, également chargés de logiciels … et de données.

Les puces de silicium subissent lors de leur fabrication, une cuisson à haute température et un dopage métallique avec des terres rares, qui viennent de loin et sont difficiles à extraire. Leur rendement en matière et énergie est très défavorable. Aujourd’hui, il faut  extraire et traiter une tonne de minerai pour obtenir 1 gramme d’or. Un smartphone contient une cinquantaine de métaux différents  : du cuivre, de l’or, du cobalt, du nickel, du lithium …et beaucoup de terres rares.

L’usage des machines connectées portables suppose une disponibilité d’énergie. Nous devons recharger nos téléphones intelligents tous les jours, ou presque, mais ce n’est que la partie visible de l’iceberg énergétique. Dans la salle des machines, il faut aussi alimenter des box, des réseaux sans fils, des antennes relais, des routeurs, des serveurs et des datacenters. L’addition de la consommation de tous ces systèmes conduit à voracité énergétique, qui représente près de 25% de la consommation d’électricité mondiale.

L’évolution de la consommation d’électricité directement imputable à la diffusion du numérique dans notre société est spectaculaire, si bien qu’un doublement de la consommation actuelle est probable avant 2030 . Soulignons que ces chiffres sont des ordres de grandeur, car la mesure des impacts reste un exercice difficile. Par exemple, savoir si le télétravail a un impact favorable ou défavorable sur l’environnement  est très complexe à résoudre, tant les situations et comportements individuels sont hétérogènes.

Ajoutons aux marqueurs sociaux ,qui poussent à posséder un modèle « dernier cri », l’obsolescence programmée : nous ne gardons pas nos terminaux très longtemps.  L’obsolescence des terminaux digitaux est dictée par l’optimisation logicielle des dernières générations d’appareils.  Cela oblige le marché mondial, déjà largement saturé, à renouveler les équipements.  Pourtant il est assez facile d’upgrader un ordinateur portable et de passer à un OS open source (donc basé sur un noyau Linux), ou de vivre avec un smartphone qui n’est pas le dernier modèle !

Le matériel numérique a un impact non négligeable en fin de vie . Même s’ils sont de plus en plus plats et légers, leurs prédescesseurs s’entassent dans des décharges à l’autre bout du monde, produisant une masse de déchêts difficile à gérer, toujours croissante . Ces décharges sont aussi des centres de tri à ciel ouvert où travaillent des enfants au milieu des fumées nocives !

Au delà de la question de l’empreinte écologique et sociale liée à la fabrication des équipements numériques et à leur fonctionnement, on peut aussi s’intéresser à la création de nouvelles dépendances.

Les dépendances  sont de divers ordres. A un niveau global se fabriquent des dépendances géopolitiques, car certains pays sont dotés de ressources minières que d’autres n’ont pas.  La transformation de ces ressources réclame de l’énergie (surtout fossile) pour alimenter les activités d’extraction et de raffinage.  La dépendance technologique augmente notre dépendance énergétique. Il faut 800 kg de matières pour fabriquer un ordinateur portable de 2 kg. La fabrication  nécessite  aussi 1,5 tonnes d’eau et 240 kg de combustibles. Une puce électronique de 2 grammes réclame 32 kg de matières premières pour sa fabrication, soit un ratio hallucinant de 1/16 000.

La dépendance est aussi économique : s’il existe plusieurs marques de smartphones françaises, seule (Kapsys) les fabrique en France, et sa part de marché reste anecdotique. Les  terminaux et les serveurs sont essentiellement fabriqués en Asie.

Dépassons la partie matérielle de la chose et regardons qui fait tourner le plus grand nombre de machines type serveur, pour biberonner les utilisateurs de contenus sur leurs terminaux. Les géants du numérique sont américains (les GAFAM 1 et NATU 2), ou chinois (les BATX 3), et dominent largement internet. Les acteurs du secteur numérique doivent créer des applications aussi addictives que possible pour éviter que les consommateurs de contenus ne s’évadent vers  la concurrence.

Les effets de réseau générés par ces grandes plateformes concentrent les utilisateurs (individus et entreprises) autour des mêmes solutions qui deviennent, dès lors, dominantes (par exemple Facebook et LinkedIn.

L’ergonomie, les contenus et les algorithmes sont étudiés pour offrir l’expérience la plus satisfaisante possible à ces utilisateurs. Les écrans, les applis, les logiciels et les contenus diffusés constituent une enveloppe qui immobilise le corps et anesthésie l’esprit. C’est ce que l’auteur de science fiction Alain Damasio appelle le « techno cocon ». Ce cocon virtuel nous isole en réalité, alors que le sentiment d’être connectés aux autres domine les nymphes numériques… Certaines deviendront peut être des papillons, qui conscients de l’influence qu’ils subissent et du vide de leur existence s’envoleront vers d’autres horizons.

En conclusion, l’écosystème du numérique actuel incite à surconsommer.  Cela impose une surproduction néfaste sur le plan environnemental et énergétique . Dans le cas particulier du streaming,  les gains environnementaux générés par la dématérialisation sont anéantis par la surconsommation de contenus. Face à la fragmentation sociale et  à l’isolement des individus, une régulation éclairée du numérique serait souhaitable. Mais pris dans l’engrenage, l’action collective issue de la base est peu probable.  Dans un prochain article, nous tâcheront pourtant d’explorer des pistes de solutions.

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1 GAFAM est l’acronyme de Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft
2 NATU est l’acronyme de Netflix, Airbnb, Tesla et Uber, des enreprises américaines qui ont révolutionné leur secteur.
3 BATXst l’acronyme de Baidu (principal moteur de recherche chinois) Alibaba (l’Amazon chinois),  Tencent (le Facebook de l’Asie) et  Xiaomi (quatrième vendeur mondial de smartphones)