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144 - LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE AFFECTE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE MONDIALE

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Publication du Earth Policy Institute
Extrait de World on the Edge
7 juillet 2011

LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE AFFECTE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE MONDIALE

texte original:
http://www.earth-policy.org/book_bytes/2011/wotech4_ss3

Lester R. Brown, traduit par Marc Zischka et Pierre-Yves Longaretti

Les récoltes peuvent être détruites par des vagues de chaleur intense. On en a eu un exemple lors de la canicule russe de 2010 qui s’est traduite par un effondrement de la récolte de blé du pays. Selon les agronomes, une élévation de 1° C de la température au-dessus de l’optimum génère une baisse de 10% des rendements. Mais le réchauffement climatique a aussi des effets indirects sur notre approvisionnement alimentaire, qui sont tout aussi sérieux que les conséquences directes.

Notamment, ce réchauffement se traduit d’ores et déjà par la fonte des calottes glaciaires de l’ouest de l’Antarctique et du Groenland. Des études récentes indiquent que le recul des calottes polaires et des glaciers, combiné à la dilatation thermique des océans, pourrait se traduire par une élévation du niveau de la mer de 1,80 mètres au cours de ce siècle. Même une élévation limitée à 90 cm réduirait fortement la récolte de riz en Asie (90 % du riz mondial) et où vit la moitié de la population de la planète. Elle inonderait la moitié des rizières au Bangladesh et submergerait une partie du delta du Mékong au Vietnam. Ce pays est le deuxième exportateur de riz après la Thaïlande, et l’arrêt de ses exportations obligerait une vingtaine d’autres pays à se tourner ailleurs pour assurer leur approvisionnement. De nombreux autres deltas rizicoles d’Asie seraient également submergés à des degrés variables.

La fonte des calottes glaciaires s’accompagne de celle des glaciers de montagne qui constituent des réserves naturelles d’eau douce. L’existence de ces quantités d’eau stockées sous forme de neige et de glace dans les chaînes de montagnes de la planète a toujours été considérée comme un fait acquis : elles étaient déjà présentes au moment de l’émergence de l’agriculture. Nous risquons néanmoins de perdre « ces réservoirs du ciel » dont dépendent tant d’agriculteurs et de zones urbaines.

Selon le World Glacier Monitoring Service (Service de Surveillance Mondial des Glaciers), 2010 est la 19ème année consécutive de recul des glaciers. Ce phénomène frappe toutes les grandes chaînes de montagnes de la planète, dont les Andes, les Montagnes Rocheuses, les Alpes, l’Himalaya et le Plateau Tibétain.

En Amérique du Sud, près de 22 % de la couverture glaciaire du Pérou a disparu ; celle-ci alimente les nombreuses rivières dont dépendent les agriculteurs et les villes des régions côtières très arides. Le glaciologue Lonnie Thompson de l’Université d’Etat de l’Ohio a signalé en 2007 qu’au Sud du pays, le recul du glacier Quelccaya qui était de 6 mètres par an dans les années 1960, atteignait maintenant 60 mètres par an. La Bolivie est aussi en train de perdre rapidement les glaciers dont dépendent ses villes et son agriculture. Sa couverture glaciaire s’est quasiment réduite de moitié entre 1975 et 2006. Le fameux glacier bolivien Chacaltaya, où se trouvait autrefois la station de ski la plus haute du monde, a disparu en 2009.

La disparition des glaciers ainsi que la baisse de débit des fleuves à la saison sèche menacent la sécurité alimentaire et la stabilité politique du Pérou, de la Bolivie et de l’Equateur, qui comptent au total 53 millions d’habitants. Les rivières alimentées par les glaciers n’assurent pas seulement une grande partie de la production régionale de blé et de pommes de terre, mais aussi la production d’électricité dont plus de la moitié est fournie par des barrages. Peu de pays sont actuellement aussi concernés par la fonte des glaciers que ces sociétés andines.

Cette disparition progressive des glaciers va à terme réduire pendant la saison sèche l’alimentation en eau des régions côtières arides, où vivent 60 % de la population. Ce problème concerne en particulier Lima, qui avec presque 9 millions d’habitants est après le Caire la deuxième plus grande ville au monde située en zone désertique. Au vu de la baisse future de ses ressources en eau, une étude des Nations Unies qualifie cette situation de « crise inéluctable ».

Pour un grand nombre de régions du monde, la neige est la principale source d’irrigation et d’eau potable. Au Sud-Ouest des Etats-Unis, par exemple, le débit du fleuve Colorado (première source d’eau d’irrigation de la région) dépend en grande partie de l’enneigement des Montagnes Rocheuses. En Californie, la Central Valley, zone de production de fruits et de légumes pour l’ensemble du pays, dépend fortement du Colorado pour son irrigation ; ce dernier est à son tour tributaire des neiges de la Sierra Nevada.

Une analyse préliminaire de l’effet de l’augmentation des températures sur trois grands systèmes hydrographiques de l’ouest des Etats-Unis (ceux de la Columbia, du Sacramento et du Colorado) indique qu’en hiver les chutes de neige dans les montagnes vont radicalement diminuer, alors qu’au contraire, pluies et inondations deviendront plus fréquentes. Les modèles climatiques globaux prévoient une réduction de 70% de l’enneigement de l’ouest des Etats-Unis d’ici le milieu du siècle, dans l’hypothèse de la poursuite de la politique énergétique actuelle. Une étude détaillée menée pour la vallée de la rivière Yakima, immense région fruitière de l’état de Washington, montre que les pertes de production vont devenir progressivement de plus en plus importantes avec la réduction de l’enneigement et donc de l’eau disponible pour l’irrigation.

Les capacités d’irrigation des pays d’Asie Centrale (Afghanistan, Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan, Turkménistan, et Ouzbékistan) dépendent fortement de la fonte des neiges provenant des massifs de l’Hindou Kusch, du Pamir et du Tien Shan ; en Iran, une bonne partie de l’eau du pays est fournie par la fonte des neiges de l’Alborz, massif montagneux culminant à 5 700 mètres situé entre Téhéran et la Mer Caspienne.

Le recul des glaciers de l’Himalaya et du plateau Tibétain constitue une menace encore plus grave pour la sécurité alimentaire mondiale. Ces glaciers alimentent les grands fleuves d’Asie durant la saison sèche, au moment où les besoins d’irrigation sont les plus importants. L’irrigation dans les bassins de l’Indus, du Gange, du Yang-Tseu-Kiang et du Fleuve Jaune est fortement dépendante de ces fleuves, et toute perte de débit durant la saison sèche met en difficulté les agriculteurs de ces régions. La Chine est le premier producteur mondial de blé et l’Inde le second, devant les Etats-Unis ; ces deux pays dominent par ailleurs totalement la production mondiale de riz. La fonte des glaciers himalayens combinée à l’assèchement des nappes phréatiques fait peser une menace sans précédent sur la sécurité alimentaire mondiale.

En Inde, le glacier géant Gangotri qui alimente le Gange pendant la saison sèche est en recul constant. De très loin la principale source d’irrigation par eau de surface en l’Inde, le Gange alimente aussi les 407 millions de personnes qui vivent dans son bassin.

Pour Yao Tandong, un des plus éminents glaciologues chinois, les glaciers du plateau Tibétain à l’ouest de la Chine fondent désormais de plus en plus vite ; beaucoup de petits glaciers ont déjà disparu. Yao pense que les deux tiers d’entre eux pourraient avoir fondu d’ici 2060 ; d’après lui, si cette tendance se poursuit, elle « conduira au final à une catastrophe écologique ». Le Yang-Tseu-Kiang par exemple, alimenté par ces glaciers et de loin le plus grand fleuve du pays, contribue à la production d’au moins la moitié des 130 millions de tonnes de riz chinois.

La fonte des glaciers peut aussi, comme l’assèchement des nappes phréatiques, augmenter de manière artificielle la production alimentaire sur courte durée. La quantité d’eau disponible pour l’irrigation finit cependant toujours par diminuer avec le recul généralisé des glaciers.

La fonte des glaciers sur le plateau Tibétain pourrait apparaître comme un problème interne chinois, mais dans les faits, il nous concerne tous. Dans un monde où le cours des céréales a récemment atteint des records historiques, toute baisse des récoltes de blé ou de riz en Inde ou en Chine du fait du manque d’eau se traduira par une augmentation de leurs importations de céréales, et par contrecoup par une hausse du prix de ces matières premières pour tous.

En Inde, un peu plus de 40 % des enfants de moins de 5 ans souffrent de rachitisme et de sous-alimentation chroniques ; une progression de la faim et de la mortalité infantile semblent difficilement évitables. La Chine lutte déjà pour contenir l’inflation des prix matières premières ; une montée des troubles sociaux en cas de tension sur les ressources alimentaires est à craindre. Ce problème peut se transformer en scénario catastrophe pour les consommateurs Américains. Si la Chine se met à acheter d’énormes quantités de céréales sur le marché mondial, comme elle l’a déjà fait pour le soja pendant la dernière décennie, elle se tournera nécessairement vers les Etats-Unis, de loin le premier exportateur de céréales.

Ironiquement, les deux pays qui prévoient de construire la plupart des nouvelles centrales thermiques au charbon, c’est-à-dire l’Inde et la Chine, sont précisément ceux dont la sécurité alimentaire est la plus menacée par les émissions de carbone provenant de la combustion du charbon. Il est aujourd’hui de leur propre intérêt de sauver leurs glaciers de montagne, en réorientant rapidement leur politique énergétique vers l’efficacité énergétique, les fermes éoliennes, les centrales solaires thermiques et les centrales géothermiques.


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Adapté de World on the Edge par Lester R. Brown. Disponible en entier sur :
http://www.earth-policy.org/books/wote
Sa version française, intitulée Basculement, co-éditée par les Editions de l’Echiquier et le Souffle Court est disponible depuis le 6 octobre 2011 en France.

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