116 - LE POTENTIEL ET LES LIMITES |
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Publication de l’Earth Policy Institute LE POTENTIEL ET LES LIMITES
texte original: L’épuisement en cours des réserves de pétrole et de gaz naturel conduit à s’intéresser de plus en plus à l’énergie tirée de la biomasse. Celle-ci peut prendre différentes formes : cultures vivrières, sous produits des industries du bois et du sucre, plantations d’arbres à croissance rapide, résidus de cultures ou de déchets verts. Toutes ces ressources peuvent être utilisés pour produire de l’électricité, de la chaleur, ou des agrocarburants. Le potentiel énergétique de la biomasse est toutefois limité, car même la plus efficace des cultures céréalières – le maïs - ne permet d’accéder au bout du compte qu’à 0,5 % de l’énergie solaire que la surface cultivée reçoit. Le solaire photo-voltaïque ou les centrales solaires à concentration arrivent par contre à convertir environ 15 % du flux solaire sous une forme d’électricité. Dans un monde où les terres arables deviennent une ressource rare, les cultures à objectif énergétique ne peuvent rivaliser avec l’électricité d’origine solaire, et encore moins avec celle d’origine éolienne, de très loin bien plus efficace en terme d’empiètement au sol. Les déchets de l’industrie du bois sont utilisés depuis longtemps pour produire de l’électricité, en particulier dans les scieries et les usines de pâte à papier. Aux Etats-Unis, les entreprises de ce secteur brûlent les déchets pour générer de la chaleur qu’elles utilisent dans leur chaîne de production, et de l’électricité qu’elles revendent aux fournisseurs locaux d’énergie. L’essentiel des 11000 mégawatts d’électricité tirés de la biomasse produits aux Etats-Unis provient de la combustion des déchets de bois. Les déchets de bois sont aussi beaucoup utilisés en environnement urbain pour la production combinée d’électricité et de chaleur, cette dernière étant en général utilisée dans les réseaux de chaleur de quartiers. En Suède, près de la moitié de l’ensemble des bâtiments commerciaux et d’habitation sont desservis par des réseaux de chaleur urbains. En 1980, plus de 90% de la chaleur produite par ces systèmes provenait encore du pétrole, mais à partir de 2007, les copeaux de bois et les ordures ménagères sont devenus la source d’énergie primaire majoritaire de ces réseaux de chauffage. Aux Etats-Unis, la ville de St. Paul, dans le Minnesota, développe depuis plus de 20 ans un réseau de chaleur urbain pour ses 275 000 habitants. Une centrale de production combinée de chaleur et d’électricité a été construite, alimentée par les déchets de bois des parcs de la ville et des industries, et par du bois de diverses origines. Elle consomme au moins 250 000 tonnes de déchets de bois par an, et alimente aujourd’hui, via le réseau de chaleur urbain, près de 80% du centre ville. Le passage aux déchets de bois a beaucoup réduit l’utilisation du charbon, avec à la clé une baisse des émissions de carbone de 76 000 tonnes par an et une source de production durable de chaleur et d’électricité. L’industrie du sucre s’est lancée depuis peu dans la cogénération de chaleur et d’électricité à partir de résidus de canne à sucre. Cette activité s’est beaucoup développée au Brésil depuis que les sociétés à la tête de distilleries produisant de l’éthanol à partir de cannes, ont réalisé que le combustion de la bagasse, ce matériaux fibreux obtenu après l’extraction du sirop de sucre, pouvait simultanément produire de la chaleur utilisable dans le procédé de fermentation et de l’électricité revendable au distributeur local. Ce système, désormais bien établi, est en train de s’étendre à d’autres pays. Dans les villes, les ordures sont aussi brûlées pour produire de la chaleur et de l’électricité, si possible après récupération des matériaux recyclables. En Europe, les incinérateurs fournissent une source de chauffage à 20 millions de personnes ; les pays en pointe dans ce domaine sont la France et l’Allemagne, comptant respectivement 128 et 67 incinérateurs. Aux Etats-Unis, près de 89 incinérateurs transforment 20 millions de tonnes de déchets en électricité pour 6 millions de consommateurs. Il serait cependant préférable de travailler à la mise en place d’une économie sans déchets dans laquelle il serait bien plus rentable d’un point de vue énergétique de recycler les matériaux plutôt que de les brûler. Dans l’attente de l’objectif « zéro déchet, » il est possible de récupérer le méthane, ce gaz naturel produit dans les décharges existantes par la décomposition des matières organiques enfouies dans les ordures ; il peut lui aussi être utilisé dans des centrales à cogénération pour produire de la chaleur à usage industriel et de l’électricité. La centrale de 35 mégawatts prévue par Puget Sound Energy pour récupérer le méthane dégagé par la décharge de Seattle rejoindra les plus de 100 autres centrales de ce type aujourd’hui en service aux Etats-Unis. Près d’Atlanta, Interface, le 1er fabriquant mondial de moquettes industrielles, a convaincu la ville d’investir 3 millions de dollars pour capturer le méthane produit par la décharge municipale et construire un pipeline de 15 kilomètres acheminant le gaz jusqu’à une de ses usines. Ce gaz naturel, payé 30 % au dessous du cours mondial, couvre 20 % des besoins de l’usine. La centrale devrait fournir du méthane pendant 40 ans, avec pour la ville un bénéfice de 35 millions par rapport à son investissement initial, et pour Interface une réduction de ses coûts de production. Les produits agricoles sont aussi utilisés pour produire du carburant automobile. En 2009, à l’échelle mondiale, il a été produit 72 milliards de litres d’éthanol et 4 milliards de biodiesel. Les Etats-Unis représentent la moitié de l’éthanol produit, le Brésil un tiers, le restant provenant de près d’une douzaine de pays, avec à leur tête la Chine, le Canada et la France. La France et l’Allemagne produisent ensemble 30% du biodiesel mondial, les autres producteurs importants étant les Etats-Unis, l’Argentine, le Brésil, l’Espagne et l’Italie. Longtemps présentés comme l’alternative au pétrole, les agro-carburants ont été l’objet de critiques approfondies ces dernières années, qui ont fait naître de nombreux doutes quant à leur utilité réelle. D’un côté, la croissance brutale de la production d’éthanol a permis aux Etats-Unis de dépasser le Brésil en 2005 ; mais de l’autre, le quasi-doublement de cette production en 2007 et 2008 a eu un rôle dans l’envolée des prix alimentaires. En Europe, où des objectifs élevés d’utilisation du biodiesel ont été fixés, mais où la production de graines oléagineuses ne pourra pas considérablement augmenter, les raffineurs se tournent vers l’huile de palme en provenance de Malaisie et d’Indonésie, contribuant à la destruction des forêts tropicales, remplacées par des palmeraies. Dans un monde qui ne dispose plus de réserves de terres agricoles, toute utilisation de maïs à des fins énergétiques induit ailleurs le défrichage d’une surface équivalente consacrée à son usage alimentaire. Une étude datant de début 2008, menée par Tim Searchinger de l’Université de Princeton et publiée dans Science a montré que, lorsque l’on prend en compte les terres qui sont défrichées sous les tropiques, l’augmentation de la production d’agro-carburants aux Etats-Unis accroît radicalement les émissions annuelles de gaz à effet de serre au lieu de les réduire, comme l’affirmaient des études antérieures moins globales. Une conclusion similaire a été obtenue par autre étude publiée elle aussi dans Science et conduite par une équipe de l’Université du Minnesota. En examinant les émissions de carbone liées à la déforestation en zone tropicale, ces scientifiques ont montré que la conversion de forêt primaire ou de prairie cultures de maïs, soja, ou d’huile de palme (pour la production de biodiesel) se traduisait par un accroissement des émissions – une dette carbone – au moins 37 fois supérieure au gain résultant du passage des combustibles fossiles aux bio-carburants. Le cas des agro-carburants d’origine céréalière a encore été aggravé par les travaux d’une équipe dirigée par Paul Crutzen, Prix Nobel de Chimie à l’Institut Max Planck pour la Chimie en Allemagne ; les résultats obtenus indiquent que les émissions d’oxyde d’azote (http://www.atmos-chem-phys.org/8/389/2008/acp-8-389-2008.html), un puissant gaz à effet de serre présent dans les engrais azotés utilisés pour des cultures telles que le maïs ou le colza, pouvaient annuler les baisses d’émission de CO2 provenant du remplacement des combustibles fossiles par des agro-carburants, faisant de ce fait de ces derniers une menace pour la stabilité du climat. Bien que l’industrie américaine de l’éthanol ait rejeté ces résultats, ils ont été confirmés dans un rapport de 2009 du Conseil International pour la Science (International Council for Science), une fédération mondiale d’associations scientifiques. Les agro-carburants liquides apparaissent de moins en moins attractifs à mesure que de nouvelles recherches leurs sont consacrées. La production d‘éthanol repose entièrement aujourd’hui sur l’utilisation de sucre et de féculents alimentaires, mais des recherches sont désormais en cours pour développer des technologies efficaces de transformation de la cellulose en éthanol. Plusieurs études indiquent que des herbes de prairie et des peupliers hybrides pourraient produire de l’éthanol avec des rendements élevés sur de mauvaises terres non cultivées, mais il n’y a pas de technologie à bas coût disponible aujourd’hui ou dans le futur prévisible permettant la conversion de cellulose en éthanol. Un troisième rapport publié dans Science indique que l’on obtient un rendement supérieur de 81% en terme de kilométrage parcouru en brûlant directement la cellulose pour produire de l’électricité utilisée par des voitures électriques, par rapport à la transformation des récoltes en carburants liquides. La question posée est de savoir quelle part de la production mondiale d’énergie pourrait être assurée par la biomasse. D’après une étude du Ministère Américain de l’Energie et de l’Agriculture, nous estimons que l’utilisation de déchets de bois, et la mise en place de certaines cultures pérennes comme les herbes de prairies et arbres à croissance rapide sur des terres actuellement non cultivées pourrait fournir aux Etats-Unis une puissance électrique de plus de 40 gigawatts à l’horizon 2020. Pour le plan B global, nous estimons que pour le monde entier, l’utilisation de la biomasse pourrait quadrupler pour atteindre une capacité de production de 200 gigawatts d’ici 2020, jouant ainsi un rôle relativement limité mais significatif dans la nouvelle Economie de l’Energie.
Adapté du Chapitre 5, "Stabiliser le Climat: Passer à l'énergie renouvelable," de Plan B 4.0: Mobiliser pour sauver la civilisation (New York: WW Norton & Company, 2009) par Lester R. Brown, disponible en ligne sur : # # # Pour s’abonner aux traductions des mises à jour du Plan B de l’Earth Policy Institute: L’association Alternative Planétaire est le relais en France des idées et du travail de l’Earth Policy Institute: Information complémentaire: www.earthpolicy.org # # # pour plus d'informations, contactez: Contact Presse & Permissions de reproduction: Contact Recherche : Earth Policy Institute |
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