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113 - LA HAUSSE DES TEMPÉRATURES FAIT MONTER LES PRIX DE LA NOURRITURE
Chaleur et sécheresse provoquent une mauvaise récolte en Russie

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Publication de l’Earth Policy Institute
Mise à jour du Plan B
10 août 2010

LA HAUSSE DES TEMPÉRATURES FAIT MONTER LES PRIX DE LA NOURRITURE
Chaleur et sécheresse provoquent une mauvaise récolte en Russie


Lester R. Brown, traduit par Marc Zischka, Frédéric Jouffroy et Pierre-Yves Longaretti

texte original:
www.earthpolicy.org/index.php?/plan_b_updates/2010/update89

Mercredi 11 août, vers minuit, une commission d'analystes en matières premières agricoles va se réunir dans l'imposant bâtiment sud de l'US Department of Agriculture (USDA) à Washington. La réunion se passe porte close, sans aucune liaison extérieure ; téléphones, portables et Internet sont coupés. À moins d'une urgence médicale, personne n’est autorisé à sortir avant 8h30 le lendemain matin.

L'USDA fournit le 12 de chaque mois une estimation mondiale de la production, de la consommation et du commerce des céréales. Les analystes vont consulter ensemble les rapports provenant d'un réseau mondial d'attachés agricoles, les images satellites des cartes de végétation des cultures, et les derniers rapports météo. Le rapport de la très respectée World Agricultural Outlook Board's (Bureau des perspectives mondiales en agriculture, ndlt), bien que peu connue du grand public, est d'une valeur inestimable pour les traders spécialisés dans les matières premières alimentaires, l'agro-industrie, et les agriculteurs, dont certains peuvent gagner ou perdre des fortunes en fonction des données qu'il contient.

Le Jeudi 12 à 7h00 le jeudi, peu après que la commission aura finalisé sa dernière estimation mensuelle de la récolte céréalière mondiale annuelle, une poignée de journalistes accrédités pourra entrer et avoir accès aux données pour écrire leurs articles. A 08h30 précises, l’isolement prend fin, et lignes téléphoniques et Internet sont reconnectées.

Tous les yeux seront braqués sur les nouveaux chiffres de l’USDA relatifs à la production de céréales. Le précédent rapport publié le 9 Juillet indiquait que la récolte mondiale de céréales, précédemment estimée à 2,2 milliards de tonnes, était en baisse de 18 millions de tonnes, soit une baisse de presque un pour cent. Le rapport du mois d'août va prendre en compte les effets sur les récoltes de céréales de la canicule et de la sécheresse record qui perdurent en Russie, au Kazakhstan et en Ukraine, pays qui pris ensemble représentent un quart des exportations mondiales de blé. Les pertes de récoltes liées aux températures élevées ont conduit Vladimir Poutine à annoncer début août que la Russie interdirait ses exportations de céréales au moins jusqu'en décembre, ce qui accroît encore davantage les inquiétudes liée à présente la récolte mondiale.

Entre le 9 juin et le 9 août, le prix mondial du blé a bondi de 66 pour cent. L'estimation d'août de l'USDA va montrer une réduction supplémentaire de la récolte mondiale. Mais de combien ? Et quel va être l’impact sur les prix mondiaux des céréales ?


prix du blé


La récolte de céréales de la Russie, qui était de 94 millions de tonnes l'an dernier, pourrait tomber à 65 millions de tonnes, voire moins. A l’ouest de l'Oural, région qui abrite la plupart des cultures, la sécheresse est inimaginable ; on estime qu'un cinquième de la surface céréalière ne sera pas récoltée. Les récoltes de l'Ukraine et du Kazakhstan pourraient en outre être respectivement inférieures de 20 et 34 pour cent par rapport à celles de l'an dernier. (Voir les données)

Cette canicule de sept semaines aux conséquences dévastatrices pour les récoltes est sans précédent dans l'ouest de la Russie. Juillet a été le mois le plus chaud à Moscou au cours des 130 années où des mesures sont disponibles. Les incendies dévastent des centaines de milliers d'hectares de bois, de prairies et de champs de blés mûrs desséchés par une canicule ininterrompue. Début d'août, des centaines de nouveaux foyers éclataient chaque jour. L'armée a été mobilisée pour aider les unités locales de lutte contre le feu aux prises avec plus de 550 incendies faisant rage sur plus de 170 000 hectares.

La chaleur et la sécheresse affectent non seulement la récolte de céréales mais aussi la croissance de l'herbe et du foin, qui vont venir à manquer pour le pâturage et le long hivernage des 21 millions de bovins russes ; une quantité supérieure de céréales devra de fait être utilisée pour nourrir les bêtes. Fin juillet, Moscou a attribué aux éleveurs de bétail et aux minotiers 3 millions de tonnes de céréales provenant des réserves gouvernementales. Compléter les rations alimentaires des bovins par des céréales est extrêmement couteux, mais la seule alternative serait d’abattre le bétail pour réduire le cheptel ce qui conduirait de toutes façons à une hausse des prix du lait et de la viande.

La Russie et l'Ukraine produisent à elles deux près de la moitié des exportations mondiales d'orge, une céréale fourragère largement utilisée en Europe et au Moyen-Orient. Les importateurs devront cette année se fournir ailleurs. La Russie pourrait elle-même devenir importatrice de céréales ; elle espère en effet pouvoir s’approvisionner auprès du Kazakhstan et de la Biélorussie, au sein de la même nouvelle union douanière.


exportateurs de blé

L’arrêt des exportations russes de céréales, et d'éventuelles restrictions concernant celles de l’Ukraine et du Kazakhstan pourraient provoquer la panique chez les pays importateurs de produits alimentaires, conduisant à une course à l’approvisionnement en céréales. Cette sécheresse pourrait aussi avoir des conséquences l'an prochain si à la fin Août, le sol n'est pas assez humide pour pouvoir réensemencer en blé.

Dans ce contexte de réduction de l’offre sur le marché mondial des céréales, la Chine, quasiment auto-suffisante en céréales depuis plusieurs années, a pourtant réalisé de façon discrète des achats de plus d'un demi-million de tonnes de blé chacun auprès du Canada et de l'Australie ; elle a également acquis un million de tonnes de maïs auprès des Etats-Unis. Selon un cabinet de conseil chinois, la hausse des importations chinoises de maïs devrait atteindre 15 millions de tonnes en 2015. Le rôle potentiel de la Chine en tant qu'importateur pourrait encore accentuer à l’avenir la tension sur le marché des céréales disponibles à l’exportation.

La quantité de céréales restant dans les silos au démarrage de la nouvelle récolte est l'indicateur clé de la sécurité alimentaire. La chute de ces stocks mondiaux à 62 jours de consommation en 2006 et 64 jours en 2007 a provoqué la hausse des prix de la saison 2007-08. Ils étaient estimés pour la saison en cours à 76 jours de consommation soit légèrement plus que les 70 jours considérés généralement comme la limite minimum recommandée. Mais de combien vont-ils baisser dans la nouvelle estimation de l'USDA ? Nul ne sait jusqu'où les prix des céréales vont augmenter dans les mois à venir ; les prix du blé, du maïs et du soja étaient cependant de fait début Août 2010 un peu plus élevés qu’au même moment il y a 3 ans, au début de la hausse record des prix des céréales de l’année 2007-08. Nous devrons attendre pour savoir si les prix vont de nouveau atteindre les sommets de 2008.

Cette canicule record et la perte de récoltes associée sont-elles liées au changement climatique? Nous ne le savons pas. Aucune canicule isolée, même extrême, ne peut être attribuée au réchauffement climatique. Nous savons néanmoins que la fréquence des canicules et sécheresses semblables à celle que vient de connaître la Russie devrait augmenter avec le réchauffement de la Terre dans les décennies à venir. Cette canicule en Russie nous permet juste de percevoir à quel point le futur changement climatique futur pourra être brutal.

L’impact des canicules sur la réduction des récoltes n’a rien de surprenant. La règle empirique utilisée par les ingénieurs écologues agricoles est qu’une hausse des températures d’un degré Celsius au-dessus de l'optimum provoque une baisse de 10 pour cent des rendements des céréales. Elle constitue un sujet d’inquiétude évident, dans le contexte de l’augmentation de la température de la planète qui pourrait attendre 6 degrés d’ici la fin du siècle.

Chaque année, la demande mondiale en céréales augmente et l’agriculture mondiale doit nourrir 80 millions de personnes supplémentaires. Quelques 3 milliards de personnes aspirent de plus à une alimentation plus riche en produits d’élevage, forts consommateurs en céréales ; et cette année près de 120 des 415 millions de tonnes de la récolte de céréales des Etats-Unis seront convertis en éthanol pour produire du carburant automobile.

Il devient de plus en plus difficile pour l’agriculture mondiale de répondre à la montée en flèche de cette demande en céréales, face au réchauffement de la planète, à l’augmentation de fréquence d’événements climatiques extrêmes et à la raréfaction croissante des ressources en eau. Cette situation souligne l'urgence d’une réduction rapide des émissions de carbone, avant que le changement climatique ne devienne hors de contrôle.

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Lester R. Brown est président de l'Earth Policy Institute et auteur de Plan B 4.0: Mobiliser pour sauver la civilisation.

Des données supplémentaires et des sources d'information sur www.earthpolicy.org

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