132 - LES ÉTATS-UNIS PEUVENT-ILS NOURRIR LA CHINE ? |
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Publication de l’Earth Policy Institute LES ÉTATS-UNIS PEUVENT-ILS NOURRIR LA CHINE ?
texte original: Lester R.Brown , traduit par Marc Zischka et Frédéric Jouffroy En 1994, j’ai écrit un article dans le magazine World Watch intitulé “Qui va nourrir la Chine ?” qui a plus tard été développé dans un livre portant le même titre. Quand l’article est paru à la fin août, la conférence de presse n’a eu qu’une portée limitée. Mais quand il a été publié à nouveau le week-end suivant en première page de la rubrique Perspectives du Washington Post sous le titre “Comment la Chine pourrait affamer le monde”, il a déclenché une tempête politique à Pékin. La première réponse fut une conférence de presse au ministère de l’Agriculture, le lundi matin, où le vice-ministre Wan Baorui a critiqué l’étude. Les progrès techniques, dit-il, permettront au peuple chinois de se nourrir. La suite fut un flot d’articles contestant mes conclusions, et orchestré par le gouvernement. Quand les chefs du Parti ont pris conscience de la situation, ils ont décidé de lancer un programme pour conserver l’autosuffisance en céréales. Le gouvernement a rapidement adopté plusieurs mesures clés stimulant la production, dont une augmentation de 40 pour cent des subventions payées aux agriculteurs pour cultiver des céréales, une augmentation du crédit agricole, et de lourds investissements dans le développement de variétés de leurs cultures principales –blé, riz et maïs- à haut rendement. Enfin, le Parti a pris consciemment la décision de renoncer à l’autosuffisance en soja et de concentrer ses ressources agricoles pour rester autosuffisant en céréales. Les conséquences de cet abandon relatif du soja dans le pays d’où il est originaire, ont été spectaculaire. En 1995, la Chine produisait et consommait près de 14 millions de tonnes de soja. En 2010, cette production était toujours de 14 millions de tonnes, contre une consommation de près de 70 millions de tonnes, utilisée en grande partie comme complément dans l’alimentation en céréales des volailles et du bétail. La Chine importe aujourd’hui les quatre cinquièmes de son soja. (Voir les données ) Cette décision de la Chine d’importer de grandes quantités de soja a conduit à une restructuration de l’agriculture dans l’hémisphère occidental, seule région du monde capable de répondre à cette énorme demande. Les États-Unis ont maintenant plus de terres plantées en soja qu’en blé. Le Brésil consacre plus de terres au soja qu’à toutes les autres céréales réunies. L’Argentine, qui a deux fois plus de terres plantées en soja qu’aux céréales, est en passe de devenir une monoculture de soja. Dans le continent américain dans son ensemble, il y a maintenant plus de terres plantées en soja qu’en blé ou en maïs. Les États-Unis, le Brésil et l’Argentine, les trois grands producteurs de soja, représentent maintenant plus de 80 pour cent de la production mondiale et presque 90 pour cent des exportations de soja. Près de 60 pour cent des exportations mondiales de soja sont destinées à la Chine.
Pékin ne fut pas le seul endroit touché. Cette tempête de poussière exceptionnelle s’est abattue sur de nombreuses villes chinoises dans cinq provinces, affectant directement plus de 250 millions de personnes. Ce n’était pas un événement isolé. Chaque printemps, les habitants des villes de l’est de la Chine, dont Pékin et Tianjin, restent cloîtrés quand les tempêtes de poussière arrivent. Ils doivent mener une lutte incessante pour empêcher le sable de rentrer dans les maisons et pour nettoyer les pas-de-porte et les trottoirs, sans compter les difficultés respiratoires et des irritations des yeux dues la poussière. Le prix à payer est encore plus lourd pour les agriculteurs et les éleveurs qui voient se dégrader leurs moyens de subsistance Un rapport de l’Ambassade des Etats-Unis intitulé “ Expansion et fusion des déserts” décrit des images satellites qui montrent deux déserts au nord de la Chine centrale en train de s’étendre et de se fondre en un seul grand désert couvrant les provinces de Gansu et de la Mongolie intérieure. A l’Ouest de la province de Xinjiang, deux déserts encore plus larges –le Taklimakan et le Kumtagh- sont aussi en voie de fusionner. Les autoroutes qui passent dans cette région de plus en plus étroite, sont régulièrement envahies par des dunes de sable. On estime que 24 000 villages au nord-ouest de la Chine ont été totalement ou partiellement abandonnés depuis 1950, les agriculteurs ayant été obligés de partir suite à la progression des dunes de sable au dépend des terres agricoles. Contrairement au Dust Bowl des années 1930 aux Etats-Unis, où de nombreux agriculteurs des Grandes Plaines ont migré vers la Californie, les paysans chinois n’ont pas de côte Ouest vers laquelle aller. Ils se déplacent vers les villes de l’Est déjà densément peuplées. Le surpompage d’eau, comme le surlabourage, est également un fléau. La demande de produits alimentaires en Chine s’étant considérablement accrue, des millions d’agriculteurs chinois ont foré des puits d’irrigation pour augmenter leur production. En conséquence, les nappes phréatiques baissent et les puits commencent à s’assécher dans la Plaine du Nord de la Chine, qui produit la moitié de blé de la Chine et le tiers de son maïs. Le pompage excessif des aquifères pour l’irrigation accroît temporairement la production alimentaire, créant une bulle qui éclate en fin de compte quand la nappe est épuisée. L’Earth Policy Institute estime que quelques 130 millions de Chinois sont nourris avec des céréales produites par le surpompage, qui est par définition un phénomène court terme. Dans une interview en 2010 donnée à Steve Mufson, journaliste au Washington Post, He Qingcheng, expert chinois des eaux souterraines, soulignait que les pompages souterrains couvrent désormais les trois quarts des besoins en eau de Pékin. Les forages de la ville doivent plonger à 300 mètres pour atteindre l’eau, soit cinq fois plus profond qu’il y a 20 ans. Il indique aussi qu’avec l’épuisement de l’aquifère profond situé sous la Plaine de la Chine du Nord, la région perd sa dernière réserve d’eau, son unique matelas de sécurité. Ses inquiétudes trouvent un écho dans le langage inhabituellement brutal d’un rapport de la Banque Mondiale sur la situation de l’eau de la Chine, qui prévoit “des conséquences catastrophiques pour les générations futures” si l’approvisionnement et la consommation d’eau ne sont pas rapidement ramenés à l’équilibre. Dans le même temps, la Chine perd des terres arables au profit de la construction résidentielle et industrielle, et de l’artificialisation des terres provoquée par la progression effarante du nombre de voitures. En 2009, La Chine est passée pour la première fois devant les Etats-Unis, avec 14 millions de ventes de véhicules. En 2010, celles ci ont bondi à 18 millions, et devraient atteindre 20 millions en 2011 soit le chiffre le plus élevé jamais atteint dans n’importe quel pays. Lorsque le parc automobile augmente de 20 millions d’unités, ceci implique la transformation de 400 000 hectares de terres en routes, en autoroutes et en parkings. En Chine, les automobiles et les agriculteurs sont désormais en concurrence directe pour les terres arables. La Chine rurale est également confrontée à une réduction de la main d’œuvre disponible. Avec l’augmentation des salaires dans l’industrie, Il devient de plus difficile de trouver dans les zones rurales des jeunes prêts à travailler pour de faibles revenus. Les terres marginales et les petites parcelles sont abandonnées car n’étant plus rentables. Les possibilités de double culture, fort demandeuse en main-d’œuvre (blé d’hiver puis maïs en été dans le Nord, ou double récolte annuelle de riz dans le Sud), diminuent avec la baisse du nombre de bras disponibles. Cette pratique de double culture avait spectaculairement augmenté la production céréalière de la Chine. L’ensemble de ces tendances concourent à réduire la production alimentaire de la Chine. En novembre 2010, l’indice des prix alimentaires était en progression de 12 % par rapport à l’année précédente, constituant un danger sur le plan politique. Après 15 années de quasi autosuffisance en céréales, la Chine va désormais vraisemblablement bientôt se tourner vers le marché international pour importer des quantités énormes de céréales, comme elle l’a déjà fait pour 80 pour cent de son soja.
L’avenir de la Chine est écrit : elle devra presque certainement se tourner vers le monde extérieur pour son approvisionnement en céréales afin d’éviter une déstabilisation politique due à la hausse des prix alimentaires. Pour importer d’énormes quantités de céréales, la Chine fera nécessairement largement appel aux États-Unis, de loin le premier exportateur mondial de céréales. Cette dépendance à l’importation de céréales, en provenance en grande partie des États-Unis, représentera pour la Chine la réalisation de son pire cauchemar. Cette augmentation porterait non seulement sur le prix des produits fabriqués directement à partir de céréales, comme le pain, les pâtes et les céréales du petit déjeuner, mais également sur celui de la viande, du lait et des oeufs, dont la production demande des quantités beaucoup plus importantes de céréales. Si la Chine ne devait seulement importer qu’un cinquième de ses céréales, il y aurait probablement une pression des consommateurs américains pour limiter ou interdire les exportations vers la Chine, comme les États-Unis l’ont fait dans les années 1970, pour les exportations de soja vers le Japon. Mais, concernant la Chine, les États-Unis sont face à une situation très différente. La Chine achète en effet chaque mois les Bons du Trésor mis sur le marché par le gouvernement américain pour financer son déficit budgétaire. Elle détient plus de 900 milliards de dollars de ces Bons : la Chine est le banquier des Etats-Unis. Dans le passé, les États-Unis pouvaient limiter l’accès à leurs céréales comme ils l’ont fait dans les années 1970, mais cela n’est sans doute plus possible aujourd’hui avec la Chine. # # # NOTE: Une version abrégée de cet article est parue dans la section Perspectives du Washington Post (http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2011/03/11/AR2011031106993.html) le 13 mars 2011 Pour s’abonner aux traductions des mises à jour du Plan B de l’Earth Policy Institute: L’association Alternative Planétaire est le relais en France des idées et du travail de l’Earth Policy Institute: Information complémentaire: www.earthpolicy.org N’hésitez pas à transmettre cette information à des amis, membres de la famille, et collègues ! # # # pour plus d'informations, contactez: Contact Presse & Permissions de reproduction: Contact Recherche : Earth Policy Institute |
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