Publication du Earth Policy Institute
26 avril 2011

LA NOUVELLE GEOPOLITIQUE DE L’ALIMENTATION

texte original:
http://www.earth-policy.org/press_room/C68/foodgeopolitics_fp

Lester R. Brown, traduit par Marc Zischka et Frédéric Jouffroy

Le numéro de Mai/Juin 2011 du magazine Foreign Policy, a publié un article de Lester Brown sur l’émergence de la géopolitique de la pénurie alimentaire dans le cadre d’un dossier spécial portant sur les questions alimentaires. Voici un extrait de cet article.

Quand, aux Etats-Unis, le prix mondial du blé augmente comme l’an dernier de 75 pour cent, cela se traduit par un passage du prix du pain de 2 dollars à 2,10 dollars. Mais, pour les habitants de New Delhi, sa flambée est autrement plus critique: quand ce prix double, le blé qu’ils ramènent à la maison, pour le moudre en farine et préparer des chapatis coûte deux fois plus cher. Et c’est la même chose pour le riz : si le prix mondial du riz double, il en sera de même sur les marchés de quartier de Jakarta, et donc aussi pour le prix du riz bouilli sur les tables des familles indonésiennes.

Bienvenue dans la nouvelle économie de l’alimentation de 2011 : les prix grimpent, mais l’impact n’est pas ressenti de la même façon par tout le monde. Pour les américains, dont l’alimentation représente moins du dixième de leurs revenus, la hausse en flèche des prix alimentaires observée cette année devient gênante, mais n’est pas une calamité. Mais pour les 2 milliards des habitants les plus pauvres de la planète, qui dépensent 50 à 70 pour cent de leur revenu en nourriture, ces augmentations peuvent signifier un repas par jour au lieu de deux. Ceux qui s’accrochent en bas de l’échelle économique mondiale risquent de lâcher prise. Cela peut conduire, et cela a déjà été le cas, à des émeutes et des révolutions.

En 2011, l’indice des prix alimentaires de l’ONU a déjà éclipsé le précédent record mondial de tous les temps, la hausse se trouvant, en mars, ininterrompue depuis 8 mois. Avec une prévision de baisse des récoltes pour cette année, la mise en danger de gouvernements au Moyen-Orient et en Afrique du fait de la flambée des prix, et des marchés anxieux, encaissant des chocs incessants, l’alimentation est rapidement devenue l’élément clé caché de la politique mondiale. Les crises comme celle que nous vivons vont devenir de plus en plus fréquentes. Les nouvelles conditions géopolitiques relatives à l’alimentation apparaissent bien plus instables et conflictuelles que par le passé ; la pénurie devient la norme.

Encore récemment, les augmentations subites des prix alimentaires n’étaient pas si critiques, car elles étaient rapidement suivies par un retour à des niveaux relativement bas qui ont contribué à façonner la stabilité politique de la fin du 20e siècle dans une grande partie du monde. Mais aujourd’hui, causes et conséquences sont, d’une façon sinistre, bien différentes.

À bien des égards, il s’agit d’une reprise de la crise alimentaire de 2007-2008, qui avait reculé non pas parce que le monde avait trouvé une solution concertée pour résoudre ses problèmes de céréales, mais parce que la crise économique a tempéré la croissance de la demande, et qu’en même temps des conditions météorologiques favorables ont permis aux agriculteurs d’obtenir une production record de céréales. Historiquement, les hausses de prix ont presque toujours été conjoncturelles, provoquées par des conditions météorologiques inhabituelles : panne de la mousson en Inde, sécheresse dans l’ex-Union soviétique, ou vague de chaleur dans le Midwest américain. Ces événements sont toujours perturbateurs, mais heureusement rares. La hausse des prix d’aujourd’hui est malheureusement structurelle, entraînée par des tendances à la fois d’augmentation de la demande, et de limitation de l’accroissement de la production : parmi elles figurent la démographie galopante, les perte de récoltes dues à l’augmentation des températures, et l’assèchement des puits d’irrigation. Il y a chaque soir 219 000 personnes supplémentaires à nourrir sur la planète.

Le monde perd sa capacité d’amortissement des effets des pénuries, et ceci est encore plus alarmant. Lorsque des hausses de prix se produisaient par le passé, les Etats-Unis, premier producteur mondial de céréales, pouvaient réellement éviter des catastrophes potentielles dans le monde. Entre le milieu du 20e siècle et 1995, les Etats-unis disposaient d’excédents de production ou de terres en jachère pouvant être mises en culture pour sauver les pays en difficulté. Lors de la panne de la mousson indienne en 1965, par exemple, l’administration du président Lyndon Johnson a livré un cinquième de la récolte de blé américaine à l’Inde, pour combattre avec succès la famine. Ceci n’est plus possible aujourd’hui ; le matelas de sécurité a disparu.

La crise alimentaire de 2011 est donc bien réelle, et peut déclencher de nouvelles émeutes de la faim et révolutions politiques. Et si, avec les révoltes contre les dictateurs Zine el-Abidine Ben Ali en Tunisie, Hosni Moubarak en Egypte, et Muammar al-Kadhafi en Libye (un pays qui importe 90 pour cent de ses céréales), l’histoire ne s‘achevait pas, mais ne faisait que commencer ? Agriculteurs et ministres des Affaires étrangères, vous devez vous préparer à une nouvelle ère, où la pénurie alimentaire dans le monde façonnera de plus en plus la politique mondiale.

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Lire l’article complet :
http://www.foreignpolicy.com/articles/2011/04/25/the_new_geopolitics_of_food

Données sur un large éventail de sujets, notamment l’alimentation et l’agriculture, le climat et les systèmes naturels, consultables sur le site de l’Earth Policy Institute : http://www.earth-policy.org .

Ressources supplémentaires en anglais
Lester R. Brown, World on the Edge: How to Prevent Environmental and Economic Collapse (New York: WW Norton & Company, 2011), disponible en téléchargement gratuit sur : http://www.earth-policy.org/books/wote
Lester R. Brown, “ Les Etats-Unis peuvent’ils nourrir la Chine ? , “Mise à jour du Plan B, 23 Mars 2011.
Lester R. Brown, “ Pourquoi les prix alimentaires mondiaux vont continuer à grimper, “Mise à jour du Plan B, 9 Mars 2011.
Lester R. Brown, “ LA MOINDRE MAUVAISE RÉCOLTE PEUT FAIRE BASCULER LE MONDE DANS LE CHAOS”, mise à jour de plan B, 15 Février 2011.
Lester R. Brown, “ La grande crise alimentaire de 2011”, Foreign Policy, 10 Janvier 2011.
Lester R. Brown, “ LA HAUSSE DES TEMPÉRATURES FAIT MONTER LES PRIX DE LA NOURRITURE, “Mise à jour du Plan B, 10 août 2010.

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http://www.ecologik-business.com/inscription-newsleter-lester-brown.html

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