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Publication de l’Earth Policy Institute
Extrait de livre Plan B 4.0
1er décembre 2010
L’AVENIR SOUS CONTRAINTE CLIMATIQUE
Lester R. Brown, traduit par Marc Zischka, Frédéric Jouffroy et Pierre-Yves Longaretti
texte original:
www.earth-policy.org/book_bytes/2010/pb4ch03_ss2
Nous entrons dans une ère nouvelle, caractérisée par des changements climatiques souvent rapides et imprévisibles. La nouvelle norme en matière de climat est en fait le changement. Les températures globales sont suivies au niveau mondial depuis 1880. Sur cette période, les 25 années les plus chaudes ont toutes eu lieu après 1980, et les 10 années les plus chaudes sont postérieures à 1998.
Les effets de la hausse des températures sont généralisés. L’élévation des températures diminue le rendement des cultures, fait fondre les glaciers de montagne qui alimentent les rivières, génère des tempêtes plus destructrices, augmente les dégâts des inondations, accroît l’intensité des sécheresses ainsi que la fréquence et les capacités de destruction des feux de forêt, et modifie partout le fonctionnement des écosystèmes. Notre activité modifie le climat de la Terre ; nous mettons en mouvement des forces que nous ne comprenons pas toujours et dont les conséquences nous échappent.
Ces dernières années, des vagues de chaleur ont fait chuter la production céréalière dans d’importantes régions de production alimentaire. La canicule torride qui a battu des records de température à travers l’Europe en 2003 a eu d’importants impacts directs. La chaleur intense, qui a contribué à la baisse de 90 millions de tonnes de la production mondiale de céréales, a également couté la vie à plus de 52 000 personnes.
La superficie des terres touchées par la sécheresse a augmenté de façon importante au cours des dernières décennies. Une équipe de scientifiques du Centre National de Recherche Atmosphérique (NCAR) indique qu’en 2002, 30% des terres émergées ont été soumises à des conditions de grande sécheresse contre 15% dans les années 70. Les scientifiques attribuent cette évolution pour partie à la montée des températures, et pour partie à la diminution des précipitations, le premier facteur devenant progressivement plus important sur la période récente. Un rapport publié en 2009 par la National Academy of Sciences (Académie Nationale des Sciences des États-Unis) renforce ces conclusions. Il indique qu’une baisse irréversible des précipitations lors de saison sèche est inévitable dans plusieurs régions du monde si la concentration en CO2 de l’atmosphérique atteint la plage des 450 à 600 ppm. L’étude a comparé ces conditions à celles de la période du Dust Bowl des années 30 aux États-Unis.
Le réchauffement est causé par l’accumulation de gaz à effet de serre et par d’autres polluants de l’atmosphère. Parmi les gaz à effet de serre, le CO2 est responsable de plus de 63% du réchauffement récent, le méthane 18% et l’oxyde nitreux 6% ; plusieurs autres gaz de moindre importance sont à l’origine des 13% restants. Le dioxyde de carbone provient essentiellement de la production d’électricité, du chauffage, des transports et de l’industrie. A l’inverse, les émissions de méthane et de protoxyde d’azote d’origine humaine sont principalement issues de l’agriculture ; le méthane est produit par les rizières et par le bétail, et l’oxyde nitreux résulte de l’utilisation d’engrais azotés.
Les concentrations atmosphériques en CO2 sont la principale cause du changement climatique. Elles sont passées de près de 280 parties par million (ppm) au début de la révolution industrielle à 387 ppm en 2009. La hausse annuelle du niveau de CO2 atmosphérique est aujourd’hui l’une des évolutions les plus prévisibles de l’environnement ; elle résulte d’émissions à une échelle qui dépasse les capacités d’absorption du carbone dans le milieu naturel. En 2008, quelques 7,9 milliards de tonnes de carbone ont été émises par la combustion de combustibles fossiles et 1,5 milliards de tonnes par la déforestation, soit au total 9,4 milliards de tonnes. Mais la capacité d’absorption des océans, des sols et de la végétation n’est que d’environ 5 milliards de tonnes ; de fait, près de la moitié de ces émissions reste dans l’atmosphère et provoque l’augmentation de la concentration de CO2.
Le méthane, autre gaz à effet de serre, est produit lorsque la matière organique se décompose en l’absence d’air, comme c’est le cas pour les matières végétales dans les tourbières, pour les matières organiques dans les décharges, ou pour le fourrage dans l’estomac d’une vache. Le méthane peut aussi être libéré par la fonte du pergélisol, le sol gelé de la toundra, qui couvre près de 23 millions de kilomètres carrés dans les latitudes septentrionales. Les sols arctiques contiennent plus de carbone qu’il n’y en a actuellement dans l’atmosphère. La fonte du pergélisol est une source d’inquiétude. Elle se produit en Alaska, dans le nord du Canada et en Sibérie, et conduit à la formation de nouveaux lacs se forment et à la libération du méthane dans l’atmosphère. Une fois enclenché, ce processus et la hausse associée des températures se renforcent mutuellement dans ce que les scientifiques appellent une “boucle de rétroaction positive ”. Le risque d’une libération massive de méthane dans l’atmosphère à partir de la fonte du pergélisol pourrait tout simplement anéantir les efforts de stabilisation du climat.
Les nuages bruns atmosphériques (NBA) posent un autre problème préoccupant. Ils sont formés de particules de suie issues de la combustion de charbon, de diesel ou de bois. Ces particules agissent sur le climat de trois manières différentes : tout d’abord, en interceptant la lumière du soleil, elles chauffent la haute atmosphère ; comme elles réfléchissent également cette lumière, elles ont un effet d’atténuation, et abaissent la température de surface terrestre ; enfin, lorsque des particules de ces nuages bruns se déposent sur la neige et la glace, elles en assombrissent la surface et accélèrent la fonte. Ces effets sont particulièrement inquiétants en Inde et en Chine, où la présence d’un grand NBA dans le ciel du Tibet contribue à la fonte des glaciers qui alimentent les grands fleuves d’Asie. Les dépôts de suies provoquent une fonte saisonnière précoce de la neige dans les différentes chaînes de montagne, de la planète que ce soit l’Himalaya en Asie et la Sierra Nevada en Californie ; ils sont également soupçonnés d’accélérer la fonte de la banquise arctique.
Contrairement aux émissions de CO2, qui peuvent rester dans l’atmosphère pendant plus d’un siècle, les particules de suie en suspension dans les NBAs n’y séjournent généralement que quelques semaines. Ainsi, les suies atmosphériques disparaissent rapidement une fois les centrales au charbon fermées ou les fourneaux à bois remplacés par des fours solaires.
Avec la poursuite du business as usual, une élévation de la température moyenne terrestre conforme aux prévisions du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) — soit 1,1 à 6,4 °C au cours de ce siècle — est tout à fait vraisemblable. Malheureusement, les émissions mondiales et les concentrations atmosphériques de CO2 résultantes se sont aggravées depuis la publication du dernier rapport du GIEC ; elles excèdent maintenant les pires scénarios envisagés dans ce rapport. Chaque année, le cri d’urgence de la communauté scientifique se fait plus pressant. Chaque nouveau rapport indique que le temps nous est de plus en plus compté. Dans une importante étude de 2009, une équipe de scientifiques du Massachusetts Institute of Technology conclut que les effets du changement climatique seront deux fois plus graves qu’anticipé six ans auparavant. La hausse probable des températures mondiales serait maintenant supérieure à 5°C au lieu des 2,4 °C prévus précédemment.
Un autre rapport, préparé de façon indépendante comme document de travail pour le sommet international de Copenhague en décembre 2009, indiquait que tous les efforts devaient être faits pour maintenir à 2°C maximum la hausse des températures par rapport au début de l’ère industrielle. Au-delà de ce niveau, un changement climatique dangereux est inévitable. Pour maintenir la hausse des températures à 2 degrés, les scientifiques indiquent que les émissions de CO2 devraient être réduites immédiatement de 60 à 80 pour cent ; comme c’est impossible, ils ajoutent que “pour limiter l’excursion des températures, les émissions doivent culminer dans un proche avenir.”
Le Centre Pew sur les Changement Climatique Global a financé une analyse de synthèse de quelques 40 études scientifiques faisant le lien entre la hausse des températures et les changements observés dans les écosystèmes. Parmi les nombreux changements listés figurent l’avancée de près de 2 semaines de l’arrivée du printemps aux États-Unis, celle de 9 jours de la nidification des hirondelles bicolores par rapport à il y a 40 ans, et un déplacement vers le nord de l’habitat du renard roux qui empiète désormais sur le territoire du renard arctique. Les Inuits ont été surpris par l’apparition de rouges-gorges sur leur territoire, un oiseau qu’ils n’avaient jamais vu auparavant. Il n’y a en effet pas de mot en Inuit pour désigner les rouges-gorges.
Douglas Inkley, un conseiller scientifique en chef de la National Wildlife Federation (Fédération Nationale de la Faune Sauvage) indique que “si nous ne faisons rien pour infléchir la tendance actuelle, selon tout vraisemblance, la flore et la faune que nous connaissons aujourd’hui cesseront d’exister ; il en ira de même pour beaucoup des sites de refuge et d’habitat que nous avons essayé de préserver pendant des dizaines d’années.” Cette observation concerne aussi malheureusement l’espèce humaine. La civilisation elle-même est en danger si nous ne sommes pas capables de rapidement réduire les émissions de carbone.
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Adapté du chapitre 3, “Changement climatique et transition énergétique”, de Lester R. Brown, Plan B 4.0: Mobiliser pour sauver la civilisation (New York: WW Norton & Company, 2009), disponible en ligne sur : http://www.earth-policy.org/books/pb4
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