128 - LES ÉTATS MENACÉS PAR LES PRESSIONS ENVIRONNEMENTALES |
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Publication de l’Earth Policy Institute LES ÉTATS MENACÉS PAR LES PRESSIONS ENVIRONNEMENTALES
texte original: Lester R. Brown , traduit par Marc Zischka, Frédéric Jouffroy et Pierre-Yves Longaretti En ce début 2011, les révoltes en Tunisie, en Egypte et à travers tout le Moyen-Orient ont rappelé au monde combien certains pays étaient politiquement fragiles. Mais les enjeux majeurs de politique internationale évoluent cependant depuis déjà un certain temps. Après un demi-siècle consacré à régler la transformation d’anciennes colonies ou de parties de l’ex-URSS en nouveaux États, la communauté internationale est aujourd’hui confrontée au problème inverse : celui de la désintégration d’états. Ce problème est souligné dans un article du magazine Foreign Policy : « le phénomène des États défaillants est l’objet d’une évolution qui l’amène de la périphérie au cœur des questions de politique globale. » L’ « Indice des États Défaillants », établi par le Fonds pour la Paix et publié chaque année par Foreign Policy dans son numéro de juillet-août classe 177 états selon «leur vulnérabilité aux conflits internes violents et la détérioration sociale», en se basant sur 12 indicateurs sociaux, économiques et politiques. En 2005, seuls 7 pays avaient des indices supérieurs à 100, pour un maximum possible de 120 (cette valeur correspond à une société en échec total, à tous les points de vue). En 2010, ce nombre de pays était passé à 15. L’élévation des indices des pays en tête de liste et le doublement des pays ayant un indice supérieur à 100 suggèrent que le phénomène de défaillance d’États s’étend et s’aggrave. La défaillance d’un Etat se produit quand son gouvernement perd le contrôle d’une partie ou de la totalité de son territoire, et ne peut plus assurer la sécurité de ses citoyens. Les défaillances d’États dégénèrent souvent en guerre civile lorsque des factions opposées luttent pour le pouvoir. En Afghanistan, ce sont par exemple les seigneurs de guerre locaux et non le gouvernement central qui contrôlent le pays à l’extérieur de Kaboul. L’incapacité des gouvernements à assurer la sécurité alimentaire est devenue récemment une cause majeure de leur chute, pas forcément du fait d’un manque de compétences, mais parce que l’approvisionnement devient plus difficile. Cet approvisionnement s’avère particulièrement tendu depuis le début de la montée des prix alimentaires début 2007. Même si les prix des céréales sont depuis redescendus, ils sont restés bien au dessus de leurs niveaux historiques, et se rapprochent à nouveau rapidement en ce début 2011 des niveaux maximums atteint au printemps 2008. La quasi-totalité des 20 premiers pays de cette liste sont en train de perdre la course entre production alimentaire et croissance démographique. La croissance démographique de 15 d’entre eux atteint 2 à 4% par an. Beaucoup de gouvernements souffrent de « fatigue démographique » : ils sont incapables de contrer la réduction continue de la surface arable et des réserves d’eau douce par personne, ou de construire des écoles au rythme nécessaire. Dans 14 de ces pays, 40% au moins de la population a moins de 15 ans. Ce type de démographie présage souvent une instabilité politique future. Beaucoup de ces pays sont pris dans la trappe à pauvreté : leur développement économique et social est suffisant pour réduire le taux de mortalité mais reste trop faible pour faire baisser la natalité. En conséquence, les familles nombreuses sont réduites à la pauvreté, et cette pauvreté se traduit en retour par des familles nombreuses. Les 20 premiers pays du classement épuisent pratiquement tous leurs ressources naturelles (forêts, pâturages, sols et aquifères) pour faire vivre leurs populations en croissance rapide. Dans les trois pays en tête de liste (la Somalie, le Tchad et le Soudan) la perte de sols arables provoquée par l’érosion éolienne réduit la productivité des terres. Plusieurs de ces pays sont touchés par le stress hydrique et surpompent leurs nappes phréatiques. La croissance rapide de la population induit au-delà d’un certain point un cercle vicieux de montée de la pauvreté et de dégradation des écosystèmes ; l’instabilité politique qui en résulte décourage les investissements venant de l’étranger. Même les programmes d’aide sociale en provenance de pays donateurs doivent être quelquefois abandonnés du fait de l’insécurité menaçant la vie des équipes humanitaires. Même si les conditions conduisant à la défaillance d’un état peuvent mettre longtemps à se mettre en place, l’effondrement en lui-même peut être rapide. Avant que la révolution tunisienne ne soit l’étincelle qui déclenche les troubles au Yémen en Janvier 2011, le pays était déjà confronté à plusieurs tendances menaçantes. Le pays a épuisé ses ressources en eau et en pétrole, et sa population est la plus pauvre des pays arabes. Le gouvernement yéménite chancelant doit faire face à une insurrection Chiite au nord, un conflit grandissant entre le nord et le sud, et à la présence sur son sol de près de 300 membres d’Al Qaida. Possédant une longue frontière mal gardée avec l’Arabie Saoudite, il pourrait devenir la base permettant à Al Qaida de pénétrer dans ce pays. La défaillance d’état constitue rarement un phénomène isolé ; les conflits peuvent facilement gagner les pays voisins, comme au Rwanda lorsque le génocide s’est étendu en République Démocratique du Congo, où un conflit civil continu a fait plus de 5 millions de victimes entre 1998 et 2007. De la même façon, les meurtres dans la région du Darfour au Soudan ont rapidement gagné le Tchad quand les victimes ont traversé la frontière. Les États défaillants peuvent devenir des terrains d’entraînement pour les groupes terroristes internationaux, comme en Afghanistan, en Iraq, au Pakistan, et au Yémen, ou des bases de pirates, comme en Somalie, ou encore des producteurs de drogues, comme l’Afghanistan et le Myanmar. La défaillance d’États n’est heureusement pas seulement un processus à sens unique. L’Afrique du Sud, qui aurait pu sombrer il y a 30 ans dans une guerre raciale, est aujourd’hui une démocratie. La Colombie ou le Libéria, qui figuraient autrefois en bonne place dans l’Indice des États défaillants, ont effectué tous deux un remarquable redressement. Cependant, avec la progression du nombre d’États défaillants, il devient de plus en plus difficile de traiter les diverses crises internationales. Des situations potentiellement gérables dans un ordre mondial sain, comme le maintien de la stabilité monétaire ou le contrôle d’une épidémie de maladie infectieuse, deviennent critiques ou impossibles à gérer dans un monde comptant de nombreux États défaillants. Arriver à conserver la circulation internationale des matières premières pourrait même devenir un défi. L’instabilité politique grandissante pourrait, passé un certain point, perturber la marche de l’économie mondiale. Un des défis majeurs auxquels fait face la communauté internationale est celui d’éviter d’être entraînée dans ce chaos. La poursuite du ‘Business as Usual’ associée à celle de programmes d’assistance internationale ne marche pas. L’inversion du processus de défaillance d’États est une tâche encore plus difficile et exigeante que la reconstruction des pays dévastés après la 2ème guerre mondiale, et elle demande un niveau de coopération interministériel qu’aucun pays donateur n’a encore atteint. La défaillance d’état étant par nature systémique, la réponse doit donc être systémique et porter sur les nombreuses causes interdépendantes de défaillance. Les efforts des États-Unis vis-à-vis des États fragiles et défaillants restent dispersés. Il faut maintenant créer une nouvelle agence au niveau exécutif : un Secrétariat d’Etat de la Sécurité Globale (Department of Global Security : DGS), qui définirait une politique cohérente pour chaque État fragile. Cette recommandation a été initialement présentée dans un rapport de la Commission ‘États Fragiles et Sécurité Nationale des États-Unis’. Elle prend acte du fait que les menaces pour la sécurité proviennent maintenant moins de la puissance militaire que des tendances sociales et environnementales qui ébranlent les États. La nouvelle agence inclurait les AID (U.S. Agency for International Development : Agences des États-Unis pour le développement international) qui font aujourd’hui partie du Ministère des Affaires Etrangères, et les différents programmes d’assistance extérieure qui dépendent actuellement d’autres ministères; elle assumerait ainsi, au sein du gouvernement, la responsabilité des États-Unis pour l’assistance au développement. Le nouveau Ministère de la Sécurité Globale (DGS) serait financé par transfert de ressources fiscales du Ministère de la Défense. Le budget de la DGS serait en effet un nouveau budget de défense. Il se concentrerait sur les causes principales de défaillance d’États en aidant à stabiliser la population, restaurer les écosystèmes, éradiquer la pauvreté, et renforcer l’autorité de la loi en soutenant les forces de polices, les institutions judiciaires, et si nécessaire, l’armée. Le DGS ferait des questions d’allègement de dettes et d’accès au marché une partie intégrante de la politique des États-Unis. Il serait un lieu de discussion pour coordonner la politique intérieure et étrangère, pour assurer que les décisions politiques intérieures ne contribuent pas à l’affaiblissement des économies des pays à faibles revenus ou à l’augmentation des prix à des niveaux alimentaires à des niveaux prohibitifs pour les pauvres. Ces investissements peuvent être vus comme une réponse humanitaire à la détresse des pays les plus pauvres de la planète. Mais dans le monde économiquement et politiquement intégré du 21ème siècle, ils constituent également un investissement d’avenir. Adapté du chapitre 7, “Mounting Stresses, Failing States,” et du chapitre 11, “Eradicating Poverty, Stabilizing Population, and Rescuing Failing States”, World on the Edge: How to Prevent Environmental and Economic Collapse de Lester R. Brown (New York: W.W. Norton & Company, 2011), disponible en anglais sur : http://www.earth-policy.org/books/wote # # # Pour s’abonner aux traductions des mises à jour du Plan B de l’Earth Policy Institute: L’association Alternative Planétaire est le relais en France des idées et du travail de l’Earth Policy Institute: Information complémentaire: www.earthpolicy.org N’hésitez pas à transmettre cette information à des amis, membres de la famille, et collègues ! # # # pour plus d'informations, contactez: Contact Presse & Permissions de reproduction: Contact Recherche : Earth Policy Institute |
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