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Publication de l’Earth Policy Institute
Extrait de livre
6 octobre 2010
PROTÉGER ET RECONSTRUIRE LES SOLS
Lester R. Brown, traduit par Marc Zischka, Frédéric Jouffroy et Pierre-Yves Longaretti
texte original:
http://www.earth-policy.org/book_bytes/2010/pb4ch08_ss4
La littérature relative à l’érosion du sol contient d’innombrables références à la “perte du couvert végétal protecteur”. Au cours du dernier demi-siècle, les coupes à blanc, le surpâturage, et le labourage excessif ont tellement réduit cette protection que le monde est en train de perdre à vitesse accélérée le sol qui s’est accumulé sur de longues périodes au cours des temps géologiques (voir “L’érosion des fondements de la civilisation”). La plantation d’herbe ou d’arbres sur les terres cultivées sensibles à l’érosion avant qu’elles ne soient perdues conditionne la préservation de leur productivité biologique.
Le Dust Bowl des années 1930 menaçait de transformer les Grandes Plaines des Etats-Unis en un désert immense ; ce fut une expérience traumatisante. Elle a conduit à des changements révolutionnaires dans les pratiques agricoles américaines, dont la plantation de haies coupe-vent (rangées d’arbres plantés en bordure des champs pour ralentir le vent et donc réduire l’érosion qu’il provoque) et la culture en bandes (plantation de blé alternée chaque année avec la mise en jachère sur des bandes de terre). La culture en bandes permet à l’humidité du sol de s’accumuler sur les bandes en jachère, tandis que les bandes plantées alternées réduisent la vitesse du vent et donc son effet érosif sur les terres en friche.
En 1985, le Congrès des États-Unis, avec un fort soutien de la communauté environnementale, a créé le Conservation Reserve Program (CRP) pour réduire l’érosion des sols et contrôler la surproduction des produits de base. En 1990 près de 14 millions d’hectares de terres très sensibles à l’érosion avaient fait l’objet d’accords de mise sous couvert végétal permanent pendant 10 ans. Dans le cadre de ce programme, les agriculteurs étaient payés pour planter de l’herbe ou des arbres sur les terres cultivées les plus sujettes à l’érosion. Ces 14 millions d’hectares protégés par le programme CRP, ainsi que la mise en œuvre de pratiques de protection sur 37 pour cent de toutes les terres cultivées, ont permis de réduire l’érosion des sols des Etats-Unis de 3,1 milliards de tonnes en 1982 à 1,9 milliards de tonnes en 1997. L’approche américaine offre un modèle au le reste du monde.
D’autres pratiques ont récemment enrichi la boîte à outils de préservation des sols tels que le non-labour ou le labour minimal. L’utilisation des pratiques culturelles traditionnelles de labour des terres, de hersage ou de disquage pour préparer les semis, puis de désherbage mécanique pour supprimer les mauvaises herbes dans les cultures sarclées fait place à une nouvelle technique, le semis direct : les agriculteurs enfoncent directement les graines à travers les restes de la récolte précédente dans le sol non perturbé, et contrôlent les mauvaises herbes avec des herbicides. La seule perturbation est la fente étroite créée pour y insérer les graines, le reste du sol restant intact, couvert par les restes de récolte et donc résistant à l’érosion due à l’eau et au vent. Cette pratique ne fait pas que réduire l’érosion mais permet aussi de retenir l’eau, d’augmenter la teneur en carbone du sol, et de réduire considérablement la consommation d’énergie nécessaire au labourage.
Aux États-Unis, dans les années 1990, les aides financières à la production ont été conditionnées à un plan de protection des sols sur les terres les plus sujettes à l’érosion ; la surface non labourée est alors passée de 7 millions d’hectares en 1990 à 27 millions d’hectares en 2007. Aujourd’hui largement utilisé pour la production de maïs et le soja, le semis direct sans labour s’est rapidement répandu dans le continent Américain, couvrant 26 millions d’hectares au Brésil, 20 millions d’hectares en Argentine, et 13 millions au Canada. L’Australie, avec 12 millions d’hectares, vient en 5ème position pour la pratique du semis direct.
Une fois la pratique du semis direct maîtrisée par les agriculteurs, son utilisation peut rapidement progresser, en particulier lorsque les gouvernements mettent en place des incitations économiques ou exigent conditionnent les aides agricoles à des programmes de protection des sols agricoles.
Les pratiques agricoles qui préservent les sols et augmentent leur productivité conduisent aussi généralement à élever la teneur en carbone du sol. Parmi celles-ci figurent le passage au labour minimal et la suppression du labour, l’utilisation plus étendue de cultures de couverture, le fumage des terres avec le déjections du bétail et de volaille, la progression des surfaces irriguées, le retour à une agriculture associant davantage la culture et l’élevage, et le reboisement des terres abandonnées.
D’autres approches sont utilisées pour stopper l’érosion et la désertification. En juillet 2005, le gouvernement marocain, après une grave sécheresse, a annoncé qu’il consacrait 778 millions de dollars à l’annulation de la dette des agriculteurs et à la conversion de surfaces céréalières en vergers fruitiers et oliveraies, moins vulnérables.
Les pays subsahariens doivent faire face à l’augmentation des déplacements de populations provoqués par la désertification des prairies et terres cultivables. A cet effet l’Union Africaine a lancé le programme « Grande Muraille Verte du Sahara », impulsé par Olusegun Obasanjo lorsqu’il était président du Nigeria. Il prévoit la plantation de 300 millions d’arbres sur une longue bande de 3 millions d’hectares traversant l’Afrique. Cette muraille verte s’ancrerait à son extrémité ouest au Sénégal, qui perd chaque année 50 000 hectares de terres productives. Pour le ministre de l’Environnement sénégalais, Modou Diagne Fada “Il faut combattre le désert avant qu’il ne soit sur nous ”. La portée du programme a depuis son lancement été élargie pour y inclure l’amélioration des pratiques de gestion des terres telles que la rotation des pâturages.
La Chine est de la même manière en train de planter une ceinture d’arbres pour protéger les terres de l’avancée du désert de Gobi. Cette muraille verte, version moderne de la Grande Muraille, devrait mesurer quelques 4 480 kilomètres, s’étendant en Mongolie intérieure depuis les faubourgs de Pékin. La Chine rémunère par ailleurs les agriculteurs dans les provinces menacées pour qu’ils plantent des arbres sur leurs terres ; 10 millions d’hectares sont visés, soit plus d’un dixième des terres céréalières de la Chine, mais de récentes pressions imposées pour accroître la production alimentaire semblent avoir ralenti cette initiative.
En Mongolie intérieure, les efforts faits pour stopper l’avancée du désert et reconquérir des terres exploitables reposent sur la plantation d’arbustes du désert pour stabiliser les dunes de sable ; Les moutons et les chèvres ont été totalement interdits dans de nombreux cas. Dans le comté de Helin, au Sud de la capitale de la province Hohlot, la plantation d’arbustes du désert sur des terres agricoles abandonnées a désormais stabilisé le sol de la première parcelle de 7 000 hectares faisant l’objet d’une réhabilitation. Fort de ce succès, cet effort de réhabilitation est en cours d’extension.
La stratégie adoptée par le Comté de Helin repose sur le remplacement du grand nombre de moutons et de chèvres par des vaches laitières. Les troupeaux de bovins sont maintenus dans des zones d’accès restreint ; ils sont nourris avec des tiges de maïs, de la paille de blé, et avec la récolte d’une culture fourragère tolérante à la sécheresse utilisée pour reconquérir les terres sur le désert. Les responsables locaux estiment que ce programme permettra de doubler les revenus dans le Comté au cours de cette décennie.
Afin de globalement réduire la pression sur les pâturages chinois, Pékin demande aux éleveurs de réduire leurs troupeaux de chèvres et moutons de 40 pour cent. Cependant, à moins de proposer aux éleveurs des moyens de subsistance alternatifs à l’image de ce qui est proposé dans le comté de Helin, ces actions paraissent difficiles voire impossibles à réaliser dans les communautés où la richesse se mesure au nombre d’animaux et où la plupart des familles vivent dans la pauvreté.
La seule façon viable d’éliminer le surpâturage sur les deux cinquièmes de la surface émergée du globe consacrés à l’élevage est en fin de compte de réduire la taille des cheptels. Les troupeaux en surnombre, en particulier de chèvres et moutons, ne font pas que détruire la végétation, mais pulvérisent aussi avec leurs sabots la croûte de protection du sol formée par les pluies et qui permet de réduire naturellement l’érosion due au vent. Dans certaines situations, la solution préférée est le parcage des animaux dans des zones contrôlées, où le fourrage leur est alors apporté. L’Inde, qui a adopté avec succès cette pratique pour son industrie laitière florissante, constitue un modèle pour les autres pays.
La protection des sols de la planète demande également une interdiction mondiale des coupes forestières à blanc au profit de prélèvements sélectifs ; les coupes à blanc successives entraînent en effet de lourdes pertes par érosion avant que la forêt n’ait pu se régénérer, générant un cercle vicieux de surexploitation et de perte de productivité.
La restauration de la couverture végétale de la planète et le développement de pratiques agricoles moins agressives pour les sols permettent de réduire érosion et inondations, mais aussi de séquestrer du carbone ; elles constituent donc des outils puissants dans l’effort de lutte contre le réchauffement climatique.
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Adapté du Chapitre 2, "Pression démographique : terre et eau ," de Plan B 4.0: Mobiliser pour sauver la civilisation (New York: WW Norton & Company, 2009) par Lester R. Brown, disponible en ligne sur :
http://www.earthpolicy.org/index.php?/Books/pb4
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