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98 - L'ARGENT DES CONTRIBUABLES SUBVENTIONNE LES DESTRUCTIONS

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Publication du Earth Policy Institute
Extrait de livre
13 avril 2010  

L'ARGENT DES CONTRIBUABLES SUBVENTIONNE LES DESTRUCTIONS

Lester R. Brown, traduit par Marc Zischka, Frédéric Jouffroy et Pierre-Yves Longaretti

Texte original:
www.earthpolicy.org/index.php?/book_bytes/2010/pb4ch10_ss2a

Le transfert de fiscalité est l’une des façons de corriger les défaillances du marché. Il s’agit d’imposer davantage les activités nuisant à l’environnement afin que leur prix de marché reflète leur coût réel, tout en compensant ce prélèvement par une réduction de l’impôt sur le revenu. Le redéploiement des subventions est une façon complémentaire d’atteindre le même objectif. Tous les ans, au moins 700 milliards de dollars de subventions, prélevées sur les contribuables du monde entier, sont distribuées en faveur d’activités nuisibles à l’environnement, telles que l’utilisation de carburants fossiles, la surexploitation des nappes phréatiques, les coupes à blanc des forêts, et la pêche excessive. Une étude de l’Earth Council, intitulée Subsidizing Unsustainable Development, souligne qu’ “il est proprement stupéfiant d’observer le monde dépenser des centaines de milliards de dollars annuellement pour subventionner sa propre destruction.”

Le caractère pervers et néfaste de ces subventions est particulièrement évident dans le cas de la pêche océanique. En partie à cause de ces subventions, le nombre de chalutiers en activité est tel que leur potentiel de pêche représente presque le double du niveau d’exploitation durable des ressources halieutiques. Les trois-quarts des pêcheries océaniques sont maintenant exploitées à leur capacité de renouvellement ou au-delà, ou tentent de se remettre d’une surexploitation antérieure. La poursuite de ce modèle économique va provoquer l’effondrement de nombreuses pêcheries. L’exemple de la morue au large de Terre-Neuve au Canada est particulièrement caractéristique. Longtemps l’une des plus productives au monde, cette pêcherie s’est effondrée au début des années 90 et ne se reconstituera peut-être jamais.

Il est clair que les subventions gouvernementales à ce type d’exploitation de la mer doivent cesser. Leur redéploiement pour créer des parcs marins afin de régénérer les pêcheries constituerait un pas de géant vers la reconstitution des stocks halieutiques océaniques. Une équipe de scientifiques britanniques menée par le Dr. Andrew Balmford du Conservation Science Group (Groupe Scientifique de Préservation) de l’Université de Cambridge a produit une estimation coûts de fonctionnement de réserves marines à grande échelle sur la base d’extrapolation des données existantes, et qui concernent 83 réserves relativement petites et bien gérées. Il apparaît que la gestion d’un réseau de réserves marines régissant 30 pour cent des océans représenterait un coût relativement modique de 12 et 14 milliard de dollars, soit beaucoup moins que les 22 milliards de dollars de subventions destructrices que les gouvernements distribuent aujourd’hui au secteur de la pêche en haute mer. D’après Balmford, “ notre étude suggère que nous aurions les moyens de préserver indéfiniment les ressources océaniques, pour un coût plus faible que ce nous dépensons aujourd’hui en subventionnant un mode d’exploitation non durable.”

La baisse des nappes phréatiques pose un autre problème qui pourrait être en partie réglé par la réorientation des subventions. Le forage de millions de puits d’irrigation lors du dernier demi siècle a entraîné des prélèvements en eau qui dépassent les taux de recharge ; il s’agit en fait d’une exploitation des eaux souterraines sur le mode minier. Les Etats ne parviennent pas à limiter le pompage des aquifères à des volumes renouvelables et le niveau des nappes phréatiques baisse maintenant dans un ensemble de pays qui abrite plus de la moitié de la population mondiale — dont les trois plus grands producteurs mondiaux de céréales : la Chine, l’Inde, et les Etats-Unis.

Dans certains pays, le capital nécessaire au financement d’un programme d’augmentation de la productivité de l’eau peut venir de l’arrêt des subventions qui encouragent souvent son gaspillage par l’irrigation : c’est le cas des subventions indiennes sur l’énergie, ou de diverses subventions directes du prix de l’eau qui ramène celui-ci bien en deçà de son coût réel, comme aux Etats-Unis. L’arrêt de ces subventions reviendrait à une augmentation effective du prix de l’eau, encourageant de fait une utilisation plus efficace.

Sur le front du climat, les émissions de carbone ont pu être réduites dans de nombreux pays du seul fait de l’arrêt des subventions relatives aux combustibles fossiles. L’Iran fournit un exemple caractéristique de ce système de subventions poussé à l’extrême, avec un prix du pétrole sur le marché intérieur dix fois plus faible que le cours mondial, encourageant fortement la possession de voitures et la consommation d’essence. La Banque Mondiale rapporte que la suppression de cette subvention annuelle de 3,6 milliards de dollars réduirait massivement les émissions iraniennes de gaz carbonique, à hauteur de 49%. Elle renforcerait également l’économie en libérant de l’argent public au profit du développement économique du pays. L’Iran n’est pas seul dans ce cas. La Banque Mondiale mentionne que la suppression des subventions aux énergies fossiles réduirait les émissions vénézuéliennes de 26%, celles de la Russie de 17%, de l’Inde de 14% et de l’Indonésie de 11 %.

Certains pays ont déjà adopté cette politique : la Belgique, la France et le Japon ont abrogé toute subvention au charbon. L’Allemagne l’a réduite de 6,7 milliards d’euros en 1996 à 2,5 milliards d’euros en 2007, diminuant sa consommation de charbon de 34 pour cent entre 1991 et 2006. Elle prévoit de complètement arrêter ces subventions d’ici 2018. Avec la montée du prix du pétrole, un certain nombre de pays (dont la Chine, l’Indonésie et le Nigeria) ont, en raison de l’important coût fiscal associé, considérablement réduit ou arrêté les subventions qui maintenaient les prix des carburants en dessous des cours mondiaux.

Une étude du parti vert anglais, Aviation’s Economic Downside (la face cache de l’économie du transport aérien) décrit l’étendue des subventions actuellement consenties à l’industrie aérienne britannique. Le cadeau commence par un abattement fiscal de 18 milliards de dollars, incluant une exemption totale de taxe fédérale. Les externalités ou les coûts indirects ne sont pas pris en charge ; c’est le cas par exemple du traitement des maladies liées à la contribution de l’aviation à la pollution de l’air, le coût du changement climatique. Ces coûts augmentent la facture de près de 7,5 milliards. La subvention du Royaume-Uni s’élève à 318 dollars par habitant. Il s’agit là dans le même temps d’une politique fiscale très régressive, puisque l’essentiel de la population du Royaume-Uni ne se déplace que très rarement en avion, voire jamais ; néanmoins elle contribue au subventionnement d’un mode de transport coûteux au profit de ses compatriotes les plus aisés.

Alors que certains des principaux pays industrialisés ont réduit leurs subventions en faveur des combustibles fossiles — notamment le charbon, le combustible le plus dangereux du point de vue du climat — les Etats-Unis ont augmenté leurs aides aux combustibles fossiles et à l’industrie nucléaire. Doug Koplow, fondateur de Earth Track, a calculé dans une étude en 2006 que les subventions fédérales au secteur de l’énergie aux États-Unis s’élèvent annuellement à un total à 74 milliards de dollars au profit de l’industrie, dont 39 milliards de dollars pour le pétrole et le gaz, 8 milliards de dollars pour le charbon, et 9 milliards de dollars pour le nucléaire. Il fait remarquer qu’aujourd’hui ces chiffres “sont probablement sensiblement plus élevés.” A un moment où économiser les ressources pétrolières devient une urgence, les contribuables américains subventionnent son épuisement.

Les subventions qui conduisent à accroître l’utilisation du charbon et du pétrole ne peuvent plus être justifiées à la menace du désordre économique mondial que porte en lui le changement climatique. Le redéploiement de ces subventions vers le développement d’autres sources d’énergie sans impact sur le réchauffement, telles que l’éolien, le solaire, la biomasse et la géothermie aidera à stabiliser le climat. Le transfert des subventions de la construction de routes vers la construction de voies ferrées pourrait, tout en réduisant les émissions de carbone, accroître dans beaucoup de cas la mobilité individuelle. En consacrant à la reforestation une partie des subventions allouées à la construction de routes d’exploitation forestières, on réduirait également les émissions de carbone ; ceci, tout en aidant à protéger et à reconstituer le couvert forestier dans le monde entier.

Dans une économie mondiale en crise où beaucoup de gouvernements manquent de rentrées fiscales, les transferts de fiscalité et de subventions peuvent aider à rééquilibrer les comptes nationaux, à créer de nouveaux emplois et à préserver les écosystèmes sur lesquels s’appuient l’économie. Ils nourrissent l’espoir d’une plus grande efficacité énergétique, d’une réduction des émissions de carbone, et de celle de la restauration de l’environnement, une situation triplement gagnante.

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Adapté du chapitre 1, “Vendre notre futur”, de Plan B 4.0: Mobiliser pour sauver la civilisation (New York: WW Norton & Company, 2009) par Lester R. Brown, disponible en ligne sur http://www.earthpolicy.org/index.php?/books/pb4

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