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96 - DEREGLEMENT DE LA PLANETE : LA MONTEE DES TEMPERATURES BOULEVERSE LES RYTHMES SAISONNIERS

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Publication du Earth Policy Institute
Faits saillants
25 mars 2010

DEREGLEMENT DE LA PLANETE : LA MONTEE DES TEMPERATURES BOULEVERSE LES RYTHMES SAISONNIERS

Janet Larsen traduite par Marc Zischka, Frédéric Jouffroy et Pierre-Yves Longaretti

Texte original:
www.earthpolicy.org/index.php?/plan_b_updates/2010/update88

beeUn oisillon, tout juste sorti de l’oeuf, attend affamé, le bec grand ouvert, qu’un de ses parents lui apporte son premier repas ; un crocus pousse à travers la neige ; le débit des rivières est vif, alimenté par le dégel et la fonte des neiges; les mammifères endormis sortent de leur hibernation, et les premiers chants des grenouilles envahissent la nuit.

Le réveil du printemps a longtemps été un sujet d’inspiration pour les poètes, les artistes et les créateurs de calendriers illustrés. Malgré la météo capricieuse caractérisant cette période (giboulées, éclaircies, pluies), certains éléments de sagesse populaire s’avéraient suffisamment valides pour être transmis de génération en génération. La première éclosion d’une espèce spécifique de fleurs, par exemple, indiquait habituellement quand pécher certaines espèces de poissons fréquentant les rivières, quand chercher des champignons, où et quand planter les cultures. La séquence de ces événements saisonniers s’organise en une danse complexe : une danse que l’on peut ne pas percevoir, jusqu’à ce que quelque chose la dérègle.

Le réchauffement printanier se produit de plus en plus tôt sur l’ensemble des régions tempérées de la planète en raison d’une hausse globale des températures de 0,5 ° Celsius depuis les années 1970. De nombreux organismes vivants ont réagi à ce réchauffement en modifiant le calendrier des évènements clefs de leur cycle de vie. Le problème est cependant que toutes les espèces ne s’adaptent pas à la même vitesse ou de la même manière, et perturbent donc la danse qui relie le prédateur et sa proie, le papillon et la fleur, le poisson et le phytoplancton, et l’ensemble de la toile du vivant.
L’étude de l’apparition des évènements biologiques saisonniers, autrement dit la phénologie, se poursuit en certains endroits depuis des siècles. La date de floraison du cerisier du Japon, largement célébrée, a été soigneusement enregistrée depuis 1400. Les arbres n’ont pas révélé d’évolution claire de leur cycle annuel avant le début du 20ème siècle, où ils se sont mis à fleurir plus tôt, avec une précocité marquée depuis les années 1950.

Les notes méticuleuses tenues par Henry David Thoreau nous aident à mesurer le changement du printemps à Concord, dans le Massachusetts, depuis le milieu du 19ème siècle. En comparant ses observations concernant 500 espèces et variétés de plantes, avec les études récentes et des relevés intermédiaires, les chercheurs ont mis en évidence que l’éclosion du printemps a avancé en moyenne d’une semaine sur les 150 dernières années, avec la montée des températures.

Les variétés de plantes qui ont avancé leur calendrier paraissent avoir prospéré au fil des années, alors que les autres se sont raréfiées. Les espèces en recul sont les marguerites, les menthes, les orchidées, les lys et les violettes. La date de floraison de certaines plantes indigènes a avancé de manière spectaculaire : le bleuet, de trois semaines, et l’oxalide jaune, d’un mois. Mais l’adaptation de ces plantes endémiques est l’exception plutôt que la règle : les dates de floraison des plantes invasives se produisent en moyenne 11 jours avant celles des plantes indigènes. Les espèces invasives exotiques paraissent s’adapter plus rapidement au réchauffement, posant un problème potentiel si cette capacité venait à provoquer la disparition de certaines variétés endémiques.

Les printemps plus précoces et les étés plus tardifs sont synonymes de périodes de croissance plus longues, tant que les plantes ne succombent pas à un coup de froid inattendu où ne flétrissent pas lors du pic de température estival. Les abricotiers et les pêchers fleurissent désormais plus de 2 semaines plus tôt qu’en 1961. La floraison des pommiers dans le Nord-Est des Etats-Unis a avancé de 8 jours entre 1965 et 2001. Les pommiers ont besoin de périodes de gel avant leur floraison, et les hivers plus doux ont entraîné une baisse des récoltes. L’avancement des floraisons printanières a allongé de plusieurs semaines la saison de pollinisation à certains endroits. Mauvaise nouvelle pour les personnes souffrant d’allergies : cette tendance va vraisemblablement s’aggraver avec le réchauffement climatique.

Une période de croissance plus longue pourrait être bénéfique à certaines cultures comme la betterave à sucre. Cependant, pour d’autres productions alimentaires, dont des céréales importantes comme le seigle, l’augmentation des températures de début de saison pourrait faire baisser les rendements en forçant les plantes à consacrer plus d’énergie à leur croissance végétative qu’à la production des graines destinées à l’alimentation humaine. Le redoux prématuré augmente aussi le risque de dégâts provenant de gelées tardives. Par exemple en 2007, la douceur du mois de mars a fait démarrer plus tôt la végétation dans certaines des principales régions agricoles des Etats-Unis; les froids inhabituels qui ont suivi au mois d’avril ont alors endommagé une partie de la future révolte, provoquant deux milliards de dollars de dégâts.

oiseauPrévoir comment ces populations végétales en mutation vont interagir avec les pollinisateurs et butineurs qui peuvent (ou non) évoluer au même rythme est pour l’instant impossible. Les membres du règne animal réagissent différemment au réchauffement. Un oiseau typique de part sa précocité printanière, le merle américain, fait parfois son apparition encore plus tôt. Dans les Montagnes Rocheuses du Colorado, ou la migration des merles ne se fait pas seulement vers le Nord mais aussi vers des altitudes plus élevées, ces oiseaux ont réagi au réchauffement de leurs zones d’hivernage en rejoignant plus tôt leurs quartiers d’été en altitude ; l’écart par rapport au début des années 1980 est aujourd’hui de deux semaines. Certaines années, les merles arrivent bien avant que la neige ait fondu, ce qui compromet alors leur alimentation à base de vers.

Pour les gobe-mouches noirs qui nichent aux Pays-Bas, la date de la migration depuis leurs quartiers d’hiver dans l’ouest africain n’a pas changé, mais l’arrivée précoce du printemps les oblige à se reproduire le plus tôt possible, dès leur arrivée. Malheureusement pour eux, les chenilles qui constituent leur nourriture se sont adaptées encore plus vite, avançant leur date d’éclosion dans les bois de 15 jours en 20 ans, alors que les oiseaux ne se sont décalés que de 10 jours. Dans les endroits où les populations de chenilles culminent assez tard, le nombre de gobe-mouches a baissé de 10 pour cent ; il s’est par contre effondré de 90 pour cent dans les zones où la date d’éclosion des chenilles a le plus avancé.

Un peu partout en Europe, les populations d’oiseaux qui n’ont pas décalé leur date de migration avec l’avance du Printemps ont diminué depuis les années 1990. Ceux qui accomplissent des migrations courtes semblent mieux se porter mieux que ceux venant de très loin. La douceur des hivers a même incité un nombre croissant d’oiseaux, comme la bernache cravant ou l’oie du Canada à complètement abandonner leur migration. Mais, à l’instar des récoltes précoces, les oiseaux qui restent courent le danger d’être anéantis par une soudaine période de froid.

Comme en témoignent les chenilles au Pays-Bas, les insectes à courte durée de vie comptent parmi les espèces qui s’adaptent le plus vite au réchauffement climatique. En Europe centrale, où presque tous les étés depuis 1980 ont été plus chauds que la moyenne de long terme, le réchauffement a permis à certaines espèces de papillons diurnes et nocturnes de commencer plus tôt leur activité et de donner naissance à une génération supplémentaire sur l’année ; ce phénomène n’avait jamais été observé auparavant bien que les archives remontent jusqu’aux années 1850. Si dans ce cas la prédation n’augmente pas, l’explosion de population qui en résulte pourrait mettre en danger les plantes dont les papillons se nourrissent.

chenilleDans l'ouest de l’Amérique du Nord, les scolytes des pins de haute montagne présentent un cas similaire. Quand le climat se réchauffe, ils peuvent accomplir leur cycle de vie en une année au lieu de deux. Alors que leur période d’activité ne durait autrefois que deux semaines par an, ces insectes peuvent maintenant se déplacer pendant 6 mois, laissant des forêts dévastées sur leur passage. Les printemps plus précoces et les hivers plus doux ont aussi une incidence sur la progression de l’encéphalite virale à tiques et d’autres maladies véhiculées par des insectes qui prolifèrent quand les températures sont plus douces.

En plus (ou au lieu) d’adapter les dates de leur cycle de vie, certains organismes ont réagi au réchauffement des températures en déplaçant leur zone d’habitat, souvent vers les pôles ou en altitude. On a déjà observé un déplacement moyen de l’habitat des oiseaux et des papillons de 6km par décennie, mais certaines espèces bougent bien plus vite. Il y a bien sûr des limitations à ces adaptations : même les espèces les plus mobiles ne peuvent pas monter plus haut en altitude que ne le permet la montagne, ou peuvent être bloquées par l’omniprésence de l’activité humaine.

Certaines espèces sauvages ont des repères temporels basés sur des facteurs environnementaux autres que la température. Le lièvre d’Amérique, par exemple, semble prendre en compte la variation de la durée du jour pour muer, et faire passer la couleur de son pelage du blanc hivernal au brun estival. Mais alors que les variations de durée du jour se reproduisent à l’identique d’année en année, la neige dans l’habitat sauvage du lièvre au Montana fond maintenant un mois plus tôt. Si les lièvres ne peuvent changer plus vite la couleur de leur pelage, ils seront en danger : un lièvre tout blanc sur un sol foncé devient une proie particulièrement facile ; et la disparition des lièvres entraînera celles des lynx, dont ils constituent la nourriture presque exclusive.

Toucher à un système incroyablement complexe et interconnecté est très risqué. Les quelques exemples de discordances listés plus haut illustrent en quoi un monde plus chaud sera différent de tout ce que nous avons connu. Les changements globaux sont encore trop récents pour dire avec certitude quelles espèces vont bénéficier du réchauffement climatique, et quelles espèces vont y perdre, mais certains signes indiquent que ces dernières seront les plus nombreuses. Faire baisser la température globale en réduisant les émissions de gaz à effet de serre est la seule façon d’éviter le risque de dérégler encore plus la nature.

Télecharger le tableau annexe : Tendances phénologiques observées chez certaines espèces

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