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107 - AUGMENTER LA PRODUCTIVITÉ DE L’EAU POUR ACCROÎTRE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

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Publication de l’Earth Policy Institute    
Extrait de livre     
16 juin 2010  

AUGMENTER LA PRODUCTIVITÉ DE L’EAU POUR ACCROÎTRE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

Lester Brown traduit par Marc Zischka, Frédéric Jouffroy et Pierre-Yves Longaretti

Texte original:
http://www.earthpolicy.org/index.php?/book_bytes/2010/pb4ch09_ss3

Le manque d’eau est aujourd’hui l’un des facteurs limitant la croissance de la production alimentaire. Sortir de cette situation implique développer l’efficacité de l’utilisation de l’eau, de façon comparable à la politique qui a permis le triplement de la productivité agricole au niveau mondial au cours des 50 dernières années. Puisque il faut 1 000 tonnes d’eau pour produire 1 tonne de céréales, il n’est guère surprenant que 70 % de l’eau douce utilisée au niveau mondial soit consacrée à l’irrigation. De fait, augmenter l’efficacité de l’irrigation est un point de passage obligé pour augmenter de façon globale la productivité de l’eau.

On dispose d’un certain nombre de données sur l’efficacité des projets d’aménagement de surface — c’est-à-dire de barrages permettant d’amener l’eau aux agriculteurs via un réseau de canaux. Ces informations montrent que l’irrigation n’atteint jamais un niveau d’efficacité de 100 % dans l’usage de l’eau : une partie s’évapore, une partie s’enfonce dans le sol ou s’échappe par ruissellement hors du système d’irrigation. Sandra Postel et Amy Vickers, spécialistes des politiques de l’eau, ont montré que “ l’efficacité des systèmes d’irrigation de surface s’établit entre 25 et 40% en Inde, au Mexique, au Pakistan, aux Philippines, et en Thaïlande; entre 40 et 45% en Malaisie et au Maroc et entre 50 et 60 % en Israël, au Japon, et à Taiwan. ” L’efficacité de l’utilisation de l’eau dépend non seulement du type et de l’état des systèmes d’irrigation, mais aussi du type de sol, de la température et de l’humidité. Dans les régions arides, soumises à de hautes températures, l’évaporation de l’eau d’irrigation est bien plus grande que dans les régions humides et plus tempérées.

En mai 2004, le Ministre Chinois des Ressources en Eau, Wang Shucheng, m’a décrit de façon relativement détaillée les mesures prises par son gouvernement pour augmenter l’efficacité des systèmes d’irrigation chinois des 43 % de 2000 à 51% en 2010, puis 55% en 2030. Les étapes qu’il a décrites incluent l’augmentation du prix de l’eau, des incitations à l’adoption de techniques d’irrigation plus efficaces et la mise en place d’organismes locaux de gestion de ce processus. Atteindre ces objectifs, pense-t-il, doit permettre à la Chine d’assurer sa sécurité alimentaire future.

Augmenter l’efficacité des systèmes d’irrigation implique en général de passer d’un système de canaux et sillons à un système d’arroseurs automatiques placés en hauteur, ou à une irrigation de goutte à goutte, la référence en matière d’efficacité. Le passage d’un système de canaux à des arroseurs à basse pression réduit le besoin en eau d’environ 30%, alors que le passage au goutte à goutte le réduit de moitié.

L’utilisation d’une irrigation au goutte à goutte en lieu et place des canaux contribue aussi à améliorer les rendements en fournissant une humidification constante et en minimisant les pertes dues à l’évaporation. Comme ces systèmes demandent beaucoup de main d’œuvre et peu d’eau, ils sont très adaptés aux pays où sévissent le chômage et le manque d’eau. Quelques petits pays — Chypre, Israël, la Jordanie — dépendent largement de l’irrigation au goutte à goutte. Parmi les trois principaux producteurs agricoles, cette technique plus efficace est utilisée sur moins de 1 % des terres irriguées en Inde et en Chine et à peu près 4 % aux Etats-Unis.

Ces dernières années, des systèmes de goutte à goutte de la plus petite taille possible — essentiellement composés d’un seau d’eau et d’un tube en plastique flexible pour la distribution — ont été développés pour irriguer de tout petits jardins d’environ une centaine de plants (couvrant une surface de l’ordre de 25 mètres carrés). Des systèmes un peu plus grand utilisant un tonneau permettent d’irriguer 125 mètres carrés. Dans les deux cas, le conteneur est légèrement surélevé, de sorte que l’eau est distribuée par gravité. Des systèmes encore un peu plus grands, utilisant des tuyaux en plastique pouvant facilement être déplacés, connaissent également une popularité croissante. Ces systèmes sont amortis en une année. En réduisant les factures d’eau et en accroissant les rendements, ils peuvent augmenter de façon impressionnante les revenus des petits exploitants.

Sandra Postel estime que la combinaison de ces techniques de goutte à goutte peut potentiellement servir à irriguer de façon efficace 10 millions d’hectares en Inde, soit près d’un dixième du total. Elle voit un potentiel similaire en Chine, qui développe aussi ce type d’irrigation pour économiser une eau devenue rare.

Au Pendjab, la pratique de la double culture extensive du blé et de riz fait rapidement baisser les nappes phréatiques. Elle a conduit en 2007 la Commission des agriculteurs de l’État à recommander un retard dans le repiquage du riz de mai à fin juin ou début juillet. Cela permettrait de réduire la consommation d’eau d’irrigation d’environ un tiers, le repiquage coïncidant alors avec l’arrivée de la mousson. La réduction résultante de l’utilisation des eaux souterraines permettrait de stabiliser la nappe phréatique, qui est désormais passée de 5 mètres sous la surface à 30 mètres dans certaines parties de l’Etat.

Des innovations institutionnelles — plus précisément le transfert de responsabilité de la gestion des systèmes d’irrigation de l’Etat vers les associations locales d’usagers — peuvent promouvoir une utilisation plus efficace de l’eau. Les agriculteurs de nombreux pays s’organisent localement pour prendre en charge cette responsabilité. Puisque les usagers locaux ont un intérêt financier à une gestion efficace, ils ont tendance à mieux s’en occuper qu’une agence gouvernementale distante.
Le Mexique occupe une position de leader dans ce mouvement. En 2008, les associations d’agriculteurs géraient plus de 99 % des terres irriguées par les instances publiques. Un des avantages de ce transfert de compétence pour le gouvernement réside dans la baisse des coûts de maintenance des systèmes d’irrigation pris en charge localement, réduisant la charge sur le Trésor public. Cela implique aussi une augmentation des tarifs de l’eau d’irrigation par les associations gérantes. Même dans ces conditions, l’amélioration de la production agricole compense largement les dépenses supplémentaires.

En Tunisie, où les associations d’utilisateurs de l’eau gèrent à la fois l’eau d’irrigation et l’eau à usage résidentiel, le nombre d’associations est passé de 230 en 1987 à 2 575 en 1999, couvrant une grande partie du pays. Il existait en Chine en 2009 plus de 40 000 associations d’usagers, responsables de la gestion locale des ressources en eau et de l’optimisation de son utilisation. Ce modèle de gestion des ressources en eau existe maintenant dans de nombreux pays. Les premiers groupes étaient organisés pour gérer les grands systèmes d’irrigation publics, mais les plus récents ont aussi été formés à la gestion des eaux d’irrigation souterraines. Ils ont la responsabilité de stabiliser le niveau des nappes phréatiques dans le but d’éviter l’épuisement de ces eaux et les perturbations économiques induites pour la communauté.

La faible productivité de l’eau est souvent le résultat de son faible coût. Dans de nombreux pays, les prix sont absurdement peu élevés, laissant croire de façon erronée que l’eau est une ressource abondante. Avec la raréfaction de l’eau douce, les prix doivent évoluer en conséquence.

Un nouvel état d’esprit est nécessaire pour permettre un nouveau mode d’appréhension de l’utilisation de l’eau. Par exemple, choisir dès que cela est possible des cultures moins gourmandes en eau augmente aussi la productivité de l’eau. La production de riz est en cours de disparition autour de Pékin parce que le riz est une céréale très gourmande en eau. Pour la même raison, l’Egypte restreint la production de riz en faveur de celle du blé.

Toutes les mesures contribuant à l’accroissement des rendements sur les terres irriguées contribuent aussi à l’augmentation de la productivité de l’eau d’irrigation elle-même. Se déplacer vers le bas de la chaîne alimentaire est non seulement meilleur pour la santé de ceux dont le régime est trop riche en protéines animales, mais réduit aussi de façon importante les volumes d’eau utilisés. Aux Etats-Unis, la consommation annuelle de céréales, à la fois pour les besoins humains et animaux, s’établit aux environs de 800 kg par personne ; une réduction de la consommation de viande, de lait et d’œufs, même modeste, pourrait facilement réduire cette consommation de céréales de 100 kg par personne. La population américaine atteignant 300 millions de personnes, une telle réduction se traduirait par une diminution de 30 millions de tonnes des besoins en céréales et une économie de 30 milliards de mètres cube d’eau d’irrigation.

Réduire à l’échelle mondiale l’utilisation de l’eau à un niveau d’exploitation soutenable des nappes souterraines et des réseaux hydrologiques implique de mettre en place une vaste panoplie de mesures, non seulement dans le secteur agricole, mais dans toute l’économie. Les étapes les plus évidentes, au-delà de l’accroissement de l’efficacité des méthodes d’irrigation, passent par l’adoption de processus industriels et l’utilisation d’appareils électroménagers plus économes en eau ou n’en utilisant plus du tout, comme par exemple les nouvelles toilettes sèches sans odeur. Recycler l’eau utilisée dans les zones urbaines est également une mesure de bon sens, à considérer dans les pays devant faire face à un sévère manque d’eau.


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Adapté du chapitre 9, “Bien nourrir huit milliards de personnes” de Plan B 4.0: Mobiliser pour sauver la civilisation (New York: WW Norton & Company, 2009) par Lester R. Brown, disponible en ligne sur : www.earthpolicy.org / index.php?/ Books/pb4

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