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Publication du Earth Policy Institute
Extrait de livre
27 janvier 2010

TENSIONS EN HAUSSE, ETATS DEFAILLANTS

Lester R. Brown, traduit par Marc Zischka, Frédéric Jouffroy et Pierre-Yves Longaretti

Texte original:
www.earthpolicy.org/index.php?/book_bytes/2010/pb4ch01_ss5

La transformation d’anciennes colonies ou de parties de l’ex-URSS en nouveaux Etats a été l’un des points focaux de la politique internationale des cinquante dernières années.Aujourd’hui le phénomène de désintégration des États prend le devant. Le terme “État défaillant” est entré dans notre vocabulaire au cours de la dernière décennie, mais ces pays font désormais partie intégrante du paysage politique international. La stabilité mondiale n’est plus menacée en priorité par les visées impérialistes d’états totalitaires comme ont pu l’être l’Allemagne Nazie, le Japon Impérial, ou l’Union Soviétique ; aujourd’hui, la principale menace vient de ce mécanisme de défaillance des Etats.

Celui-ci se met en place quand les gouvernements nationaux perdent le contrôle d’une partie ou de la totalité de leur territoire et ne peuvent plus assurer la sécurité individuelle de leurs citoyens. L’émiettement du pouvoir central et l’effritement de l’ordre public vont de pair, et la légitimité institutionnelle disparait quand des services aussi fondamentaux que l’éducation, l’accès aux soins ou la sécurité alimentaire ne peuvent plus être assurés. La collecte des impôts assurant le fonctionnement réel de l’Etat devient alors impossible, et la fragmentation de la société peut empêcher toute prise de décision collective.

Les défaillances d’Etats dégénèrent souvent en guerre civile lorsque des factions opposées luttent pour le pouvoir. Ces conflits se propagent parfois dans les pays voisins, comme dans le cas du génocide au Rwanda qui a débordé en République Démocratique du Congo, où un conflit civil (toujours en cours) a provoqué la mort de plus de 5 millions de personnes depuis 1998. La grande majorité de ces décès au Congo n’est pas due aux combats ; la plupart d’entre eux sont liés à la faim, aux maladies respiratoires, aux diarrhées ou à d’autres maladies, le conflit ayant poussé hors de chez eux des millions de personnes. De même, les massacres du Darfour qui ont eu lieu à l’intérieur du Soudan se sont rapidement étendus au Tchad.

Les États défaillants constituent des terrains d’entraînement pour des groupes terroristes internationaux ; c’est le cas par exemple en Afghanistan, en Irak, au Pakistan ou encore au Yémen. Ils servent aussi souvent de base arrière pour des bandes de pirates, comme en Somalie. La production de drogue peut s’y développer plus facilement, comme au Myanmar (l’ancienne Birmanie) ou en Afghanistan ; ces deux pays ont produit 92 pour cent de l’opium mondial en 1998, dont la majeure partie est transformée en héroïne. De par le manque de services sanitaires opérationnels, les États affaiblis peuvent aussi devenir le foyer de maladies infectieuses ; au Nigéria et au Pakistan, la poliomyélite regagne du terrain, anéantissant les efforts déployés pour éradiquer cette redoutable maladie.

L’un des symptômes les plus visibles de la défaillance d’un État est l’incapacité à maintenir l’ordre public, et la perte associée de sécurité individuelle. En Haïti, les kidnappings avec demande de rançon sont fréquents, même s’ils ne frappent que ceux qui ont la chance de faire partie des 30 pour cent de la population active à avoir un emploi. En Afghanistan, ce sont les seigneurs de guerre locaux et non le gouvernement central qui contrôlent le pays à l’extérieur de Kaboul. La Somalie, qui n’existe maintenant plus que sur les cartes, est dirigée par des chefs tribaux, chacun réclamant une part de ce qui constituait autrefois ce pays. Au Mexique, les cartels de la drogue se relèvent, rendant tangible la perspective d’un État défaillant à la frontière des États-Unis.

Le magazine Foreign Policy publie tous les ans dans son numéro de juillet/août l’analyse la plus complète disponible sur le mécanisme de défaillance institutionnelle. Les pays sont classés selon “ leur vulnérabilité aux conflits internes violents et à la détérioration sociale. ” Sur la base de 12 indicateurs sociaux, économiques, politiques, et militaires, ce travail met la Somalie en tête de la liste des États défaillants pour 2008, suivie du Zimbabwe, du Soudan, du Tchad, et de la République Démocratique du Congo. Trois pays exportateurs de pétrole figurent parmi les 20 premiers États défaillants : le Soudan, l’Irak, et le Nigeria. Le Pakistan, dixième sur la liste, est le seul État défaillant doté d’un arsenal nucléaire. La Corée du Nord, dix-septième, développe une capacité nucléaire.
Etats défaillants

Chacun des 12 indicateurs est quantifié sur une échelle de 1 et 10; ils sont ensuite combinés pour chaque pays en un « indice de défaillance des Etats ». La valeur maximale de 120 décrit une société en échec total, de tous les points de vue. Dans le premier classement du Foreign Policy établi sur la base données de l’année 2004, seuls 7 pays avaient des indices supérieurs à 100. En 2008 ils étaient 14, soit un doublement en quatre ans. Une tendance aussi récente ne constitue pas en soi une preuve, mais l’élévation des indices des pays en tête de liste et le doublement des pays ayant un indice supérieur à 100 suggèrent que le phénomène de défaillance d’États s’étend et s’aggrave.

L’ordre du classement des États défaillants est étroitement lié aux principaux indicateurs démographiques et environnementaux. Parmi les 20 premiers États défaillants, 17 ont une croissance démographique élevée, proche de 3 pour cent par an plusieurs d’entre eux (soit une multiplication de la population par 20 en un siècle). Pour cinq de ces états, les taux de natalité dépassent 6 enfants par femme, et pour 14 d’entre eux, 40 pour cent au moins de la population a moins de 15 ans ; ce type de démographie présage souvent une instabilité politique future. Le mécontentement monte parmi les jeunes ; sans emploi, ils forment un réservoir pour les mouvements d’insurrection.

Dans beaucoup de pays ayant vécu des décennies de croissance démographique rapide, les gouvernements souffrent de « fatigue démographique » : ils sont incapables de contrer la réduction continue de la surface arable et des réserves d’eau douce par personne, ou de construire des écoles au rythme nécessaire.

Le Soudan est un cas classique de pays piégé dans la « trappe à pauvreté ». Son développement économique et social est suffisant pour réduire le taux de mortalité, mais reste trop faible pour avoir un impact rapide sur la fertilité. En conséquence, les femmes ont quatre enfants en moyenne et la population de 41 millions d’habitants grossit de plus de 2 000 personnes par jour. Sous cette pression, le Soudan, comme tant d’autres pays, s’effondre.

A l’exception de 3 d’entre eux, les 20 premiers pays de cette liste des Etats défaillants sont tous pris dans cette spirale, et dans l’impossibilité pratique d’en sortir seuls. Ils auront besoin de secours extérieurs (une aide systémique de reconstruction et non pas seulement des projets d’aide dispersés), pour que leur situation politique arrête de se détériorer.

La quasi-totalité des 20 premiers pays de cette liste sont en train de perdre la course entre production alimentaire et croissance démographique. Près de la moitié de ces Etats dépendent d’aides du programme alimentaire mondial, et les pénuries alimentaires peuvent créer des pressions intenses sur les gouvernements. Dans de nombreux pays, l’ordre social a commencé à montrer en 2007 des signes de tension, face à la montée des prix de denrées alimentaires et du nombre de personnes touchées par la faim. Les émeutes de la faim et les troubles ont continué en 2008 dans des douzaines de pays, depuis les émeutes de la tortilla au Mexique jusqu’aux rixes dans les files de distribution de pain Egypte. En Haïti, la forte hausse des prix alimentaires a contribué à la chute du gouvernement.

Une autre caractéristique des États défaillants réside dans la détérioration des infrastructures routières et électriques, et des réseaux d’eau et d’assainissement. La préservation des systèmes naturels est également négligée quand les gens luttent pour leur survie. Les forêts, les prairies, et les terres arables se détériorent, induisant un cercle vicieux de récession économique. Le tarissement des investissements étrangers et la progression associée du chômage font également partie du syndrome de déclin.

Les pays comme Haïti et l’Afghanistan ne survivent que parce qu’ils bénéficient de systèmes de soutien internationaux. L’assistance économique, y compris l’aide alimentaire, contribue à les maintenir. Mais cette aide n’est pas suffisante pour vaincre la montée des détériorations qu’ils subissent, et pour les remplacer par la stabilité démographique et politique dont ils ont besoin pour soutenir le progrès économique.

A notre époque de globalisation croissante, le fonctionnement du système global dépend du réseau de coopération d’Etats-nations en ordre de marche. Si les gouvernements perdent leur capacité à gouverner, ils ne peuvent plus percevoir d’impôts et assumer leurs dettes internationales. La progression de la défaillance d’Etats est synonyme de dettes impayées. La lutte contre le terrorisme international passe par la coopération des États-nations, et ces efforts reculent quand de nouveaux Etats ne peuvent plus assurer leurs fonctions régaliennes.

Répondre aux crises internationales devient plus difficile avec la progression du nombre d’Etats défaillants. Des actions relativement simples à mettre en oeuvre dans un ordre mondial bien établi, comme le maintient de la stabilité monétaire ou le contrôle de la propagation des maladies infectieuses, peuvent d’avérer difficiles ou impossibles à réaliser dans un monde où de trop nombreux Etats seraient en voie de désintégration. Même le maintien des flux internationaux de matières premières pourrait devenir un défi. La propagation de l’instabilité politique pourrait à un certain moment interrompre le progrès économique global. Cet état de fait devrait inciter à traiter les causes de la défaillance d’Etats avec un sentiment d’urgence accru.

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Adapté du chapitre 1, “Vendre notre Futur” de Plan B 4.0 “ Mobiliser pour sauver la civilisation ” de Lester R. Brown, (New York: W.W. Norton & Company, 2009), en téléchargement gratuit sur : www.earthpolicy.org/index.php?/books/pb4

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