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76 - L'ENFER SUR TERRE- PLUS DE FEUX DE BROUSSE LIES A LA HAUSSE DES TEMPERATURES

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Publication du Earth Policy Institute
le 19 novembre 2009

L'ENFER SUR TERRE - PLUS DE FEUX DE BROUSSE LIES A LA HAUSSE DES TEMPERATURES

Janet Larsen, traduite par Marc Zischka, Frédéric Jouffroy et Pierre-Yves Longaretti

Texte original:
http://www.earthpolicy.org/index.php?/plan_b_updates/2009/update85

Les pompiers du futur ont du pain sur la planche. C’est peut-être en Australie que leur tâche sera la plus rude ; début 2009, une sécheresse persistante associée à des vents violents et des températures record a provoqué le pire incendie de forêt dans l'histoire du pays. Le 9 février, désormais appelé le “ samedi noir”, des feux de forêts ont dévasté plus de 4 000 kilomètres carrés dans l'état de Victoria. La température a atteint 46,4 degrés Celsius à Melbourne. Plus de 2 000 maisons ont été détruites. Le feu a provoqué la mort de plus de 170 personnes. Des dizaines de milliers de bovins et de moutons, et 1 million d'animaux ont également péri dans l’incendie.

On observe de par le monde un mouvement croissant d’installation sur des terres vierges vulnérables aux incendies de par leur aridité ; dans le même temps, les sécheresses intenses combinées à la montée des températures (conséquences du réchauffement global) vont vraisemblablement augmenter la fréquence et l’ampleur des incendies dans de nombreuses régions. (Voir le tableau des observations et des prévisions régionales: http://www.earthpolicy.org/images/uploads/graphs_tables/fire.htm). Dans le Sud-Ouest Australien où réside la grande majorité de la population du pays, le nombre de jours d’alerte maximale aux incendies pourrait tripler d'ici 2050 sous l’effet du réchauffement global.

Il se produit chaque jour des milliers de feux de forêts de par le monde ; on n’en parle dans les médias que lorsqu’ils atteignent des proportions gigantesques et mettent des vies ou des biens en danger. Le feu est un processus de régulation normal et important dans de nombreux écosystèmes ; il joue un rôle de régulation du couvert la terre et de recyclage de la matière organique dans le sol. 40 pour cent environ de la surface de la Terre est recouvert de végétation vulnérable au feu. Un certain nombre de plantes, telles que les Séquoias géants et certaines herbes de prairies, ont besoin du feu pour s’étendre ou créer les conditions favorables à leur floraison.

Les caractéristiques des incendies ont évolué au cours du temps ; l’expansion de la population humaine a induit de profonds changements dans les paysages, sous l’effet du déboisement, du surpâturage, et de l’apparition d’espèces végétales non locales. Dans certaines régions de l'ouest des Etats-Unis, par exemple, le brome des toits (Bromus tectorum L.), une graminée annuelle envahissante adaptée à des feux fréquents, a supplanté les broussailles indigènes, les arbustes du désert, et les herbes vivaces qui subissaient moins fréquemment des épisodes d’incendies. Dans d'autres régions, des forêts abritant des espèces variées d’arbres de tous âges ont été remplacées par des monocultures arboricoles favorisant la propagation des incendies. A l’inverse d’un brûlis naturel au pouvoir régénérateur, l’élévation de température associée peut alors causer un dommage durable aux sols.

La politique de suppression délibérée des incendies a également joué un rôle considérable. Suite à un feu de forêt dévastateur qui, en seulement 2 jours, a en 1910 carbonisé plus de 12 000 km2 de forêt dans l'ouest des États-Unis, une politique de réaction rapide contre les feux de forêts a été mise en place avec l’objectif affirmé de protéger les ressources en bois de construction. Pendant des décennies, les pompiers ont remarquablement réussi dans cette tâche ; les matières hautement inflammables se sont par contre tellement accumulées dans les forêts que le moindre départ de feu non contrôlé menaçait de se transformer en un gigantesque incendie.

La politique qui se généralise aujourd’hui est au contraire de laisser certains feux évoluer naturellement, ou de pratiquer des brûlis préventifs contrôlés ; malheureusement, le réchauffement climatique peut réduire à néant une partie de ces efforts. La montée des températures moyennes va entraîner celle des températures extrêmes : même si certaines régions du monde vont connaître plus d'inondations, d'autres seront en proie à des sécheresses et des canicules prolongées. La montée des températures entre les années 1970 et le début des années 2000 a provoqué le doublement de la fraction de terres souffrant de la sécheresse, passant de moins de 15 pour cent à près de 30 pour cent au niveau mondial sur cette période. Un monde plus chaud et plus sec est plus facilement la proie des incendies. Le réchauffement global pourrait nous entraîner dans un tout autre régime que celui que nous connaissons, caractérisés par des incendies plus étendus, plus longs, plus violents, mais aussi par l’apparition de feux dans des endroits historiquement préservés, comme les forêts tropicales humides.

Le lien entre montée des températures et feux de forêt est démontré. Anthony Westerling et ses collègues de la Scripps Institution ont noté une augmentation marquée des incendies de forêt dans l'ouest américain depuis le milieu des années 80, avec une saison de risque d’incendie qui s’est allongée de 78 jours au cours des 15 dernières années, comparé aux 15 années précédentes. La longueur de la saison et la durée des incendies ont augmenté de concert avec les températures régionales de printemps et d'été ; celles-ci ont été en moyenne 0,87 degrés Celsius plus chaudes sur la période récente. En conséquence, la fonte des neiges se produit plus tôt dans la saison en montagne ; l’été est moins humide, ce qui favorise l’extension des feux. L'exploitation des terres par l’homme a certainement eu un effet direct sur la structure des feux de forêt dans l'ouest américain, mais la plus grande intensification de feux de forêt observée aux États-Unis a en fait eu lieu dans les forêts largement préservées de moyenne montagne du nord des Rocheuses ; cette tendance est une conséquence directe du changement climatique.

Plus au nord, la fréquence des feux dans les forêts boréales de l'Alaska et du Canada a récemment augmenté, libérant assez de carbone en quelques années pour que ces dernières perdent leur rôle de puits de CO2 et deviennent des émetteurs nets. Entre les années 60 et les années 90, la surface totale détruite par le feu a plus que doublé. Le réchauffement a favorisé la migration vers de nouveaux territoires des larves de la tordeuse des bourgeons de l'épinette (Choristoneura fumiferana Clem.) — espèce qui s'attaque aux arbres. Le développement des coléoptères n’est plus ralenti par le froid hivernal, ce qui leur permet d'accomplir leur cycle de vie habituel de deux ans en une seule année. La sécheresse a réduit les capacités de défense des arbres. Les insectes et la sécheresse conjugués laissent des milliers de kilomètres carrés de bois mort dans leur sillage, qui constituent un combustible potentiel pour les futurs feux de forêt. De façon générale, les prévisions montrent qu'un climat plus chaud fera doubler la surface brûlée au nord du Canada d’ici 2100 ; et en Alaska, cette surface pourrait doubler dès 2050.

Dans d'autres parties du monde aussi, les incendies sont en train de changer de nature, une évolution qui devrait s’accélérer avec le réchauffement de la planète. La fréquence des feux a diminué globalement en Europe pendant la plus grande partie du 20ème siècle, et l’expansion résultante des forêts les a transformées en puits à carbone. Mais aujourd’hui la tendance est peut-être en train de s’inverser dans certaines zones. Entre 2000 et 2006, près de 50 000 feux se sont produits tous les ans dans le pourtour méditerranéen, à comparer aux 30 000 par an des années 1980 ; la surface totale brûlée n’a cependant pas augmenté, en partie grâce à une lutte anti-incendies plus efficace.

Pendant la canicule record de 2003 qui a tué plus de 50 000 personnes en Europe, 650 000 hectares environ de forêt ont brûlé sur le continent. Bien que le nombre de feux pendant cette année chaude et sèche n'ait pas été particulièrement élevé, on a atteint un record en terme de surface brûlée. Plus de 5 pour cent des régions forestières du Portugal ont ainsi été dévastés, soit quatre fois la moyenne annuelle entre 1980-2004 ; les dommages économiques dépassent le milliard d'euros. Si le réchauffement à venir n'est pas contrôlé, des étés chauds et secs comme celui de 2003 pourraient se reproduire tous les deux ans, augmentant considérablement le risque des feux de forêt.

En Asie du Sud-Est, le phénomène El Niño a été particulièrement puissant en 1997-98 ; il a provoqué une sécheresse importante dans la région, permettant le développement d’incendies comptant parmi les plus dévastateurs de l'histoire récente, tant en Indonésie, qu’aux Philippines ou au Laos. Des feux d’écobuage de prairie et de brousse ont atteint les forêts et les tourbières, brûlant alors sous terre. La fumée a recouvert le ciel de l'Asie du Sud-Est pendant des mois. Les feux ont brûlé presque 10 millions d'hectares pour la seule Indonésie, touchant 23 de ses 27 provinces ; les dégâts dépassent 9 milliards de dollars.

Pendant ce même épisode El Niño, plus de 20 millions d'hectares ont brûlé en Amérique latine, faisant 15 milliards de dollars de ravage. En 2001, l’épisode suivant d’El Niño fut encore plus sec, menaçant d'incendie un tiers de l’Amazonie — une proportion effrayante de cette forêt primaire. Dans le cadre d’un scénario de réchauffement de plus de 3 degrés Celsius (tout à fait réaliste pour ce siècle en l’absence d'une action rapide et spectaculaire pour restreindre les émissions de carbone), une grande partie de l'Amérique connaîtra vraisemblablement une intensification des feux de forêts.

Une personne dont le système immunitaire est affaibli devient vulnérable à des microbes normalement inoffensifs ; de même, la fragmentation des forêts tropicales mondiales accroît leur fragilité. Cette fragmentation résulte d’une combinaison de facteurs : exploitation forestière, construction de routes, déboisement par brûlis à des fins d’élevage, culture, plantations... Le réchauffement climatique vient s’ajouter à ces agressions, et la résilience des forêts pourrait ne pas y résister. La gigantesque forêt tropicale d'Amazonie risque d'atteindre un point de bascule où, de par l’assèchement provoqué par des sécheresses récurrentes, un départ d’incendie mineur pourrait se transformer en un embrasement dévastateur.

Les forêts constituent un puits carbone dont nous dépendons tous. Nous ne sommes pas à l’abri d’un cercle vicieux où le dégagement de carbone dans l’atmosphère par les feux de forêt renforcerait ces derniers à grande échelle. Stopper à très court terme le réchauffement climatique prend un nouveau caractère d’urgence, s’il s’agit d’éviter l’Enfer sur Terre.



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Janet Larsen est Responsable de Recherche au Earth Policy Institute.

Pour plus d'information sur les feux par région.

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