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72 - La marée montante des réfugiés environnementaux

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EXTRAIT DE LIVRE
le 22 octobre 2009

La marée montante des réfugiés environnementaux

Lester R. Brown, traduit par Marc Zischka, Frédéric Jouffroy et Pierre-Yves Longaretti

 

Notre civilisation de ce début de 21ème siècle se trouve prise en étau entre l’avancée des déserts et la montée du niveau de mers. La planète se rétrécit en termes surfaces productives, qui constituent la base de l’habitabilité de la planète par l’homme. La densité de la population n’augmentait autrefois que pour des raisons démographiques ; de nos jours, elle augmente aussi de part la progression implacable des déserts, et pourrait bientôt être aussi amplifiée par la montée du niveau des mers. L’épuisement des nappes phréatiques par surexploitation provoque de plus la migration forcée de millions de personnes, pour satisfaire leurs besoins en eau.

L’expansion des déserts en Afrique sub-saharienne, principalement dans les pays du Sahel, oblige des millions de personnes à se déplacer plus au sud ou à migrer vers l’Afrique du Nord. Il s’est tenu en 2006 en Tunisie une conférence des Nations Unis sur la désertification. On y prévoyait que d’ici 2020 près de 60 millions de personnes pourraient émigrer de l’Afrique sub-saharienne vers l’Afrique du Nord et vers l’Europe. Ce flux migratoire existe depuis de nombreuses années.

A la mi-octobre 2003, les autorités italiennes ont arraisonné un bateau qui transportait des réfugiés Africains vers l'Italie. Il avait dérivé pendant plus de deux semaines, à court de carburant, de nourriture et d'eau, et beaucoup des passagers étaient morts. Au début de ce périple les morts étaient jetés par dessus bord. Mais vers la fin, les survivants n’avaient plus assez de forces pour hisser les corps par dessus bord. Les vivants et les morts gisaient ensemble sur le bateau, ressemblant à ce qu'un sauveteur a décrit comme une “scène de l'enfer de Dante”.

Les réfugiés étaient probablement des Somaliens qui avaient embarqué en Libye, mais les survivants n'ont pas révélé leur pays d'origine, de peur d'être renvoyés chez eux. Nous ne savons pas s'il s’agissait de réfugiés politiques, économiques, ou environnementaux. Les trois catégories fuient les États défaillants comme la Somalie. Nous savons que ce pays est confronté à un désastre écologique, de par la surpopulation et le surpâturage ; la désertification en résultant détruit son économie pastorale.

Les migrants somaliens se tournent principalement vers le Yémen, qui est un autre Etat en faillite. On estime qu’en 2008, 50 000 migrants et demandeurs d'asile ont rejoint le Yémen, soit 70 pour cent de plus qu'en 2007. Et pendant les trois premiers mois de 2009, le flux migratoire était en hausse de 30 pour cent par rapport à la même période en 2008. Cet afflux vient renforcer la pression déjà insoutenable de ce pays sur ses ressources en terre et en eau, accélérant ainsi son déclin.

Le 30 avril 2006, un pêcheur a découvert un bateau de 6 mètres qui dérivait au large de La Barbade; on a trouvé à bord les corps de 11 jeunes hommes, pratiquement "momifiés" par le soleil et les embruns. Sentant sa fin approcher, un passager avait rédigé un court message, qu’on a retrouvé coincé entre deux cadavres : “ Je voulais envoyer une somme d'argent à ma famille à Basada [Sénégal]. S'il vous plait, excusez moi, et Adieu. ” L'auteur de cette note faisait apparemment partie d'un groupe de 52 personnes qui avaient quitté le Sénégal le soir de Noël à bord d'un bateau à destination des Iles Canaries, un point d'entrée pour l'Europe. Celui-ci a apparemment dérivé sur plus de 3000 kilomètres, finissant son voyage dans les Caraïbes. Il ne s’agit pas là d’un cas unique. Pendant le premier week-end de septembre 2006, la police a intercepté des bateaux en provenance de Mauritanie, transportant à leur bord un nombre record de 1 200 passagers.

Pour les habitants des pays d'Amérique centrale comme le Honduras, le Guatemala, le Nicaragua, et le Salvador, le Mexique représente souvent la porte d’entrée des Etats-Unis. Les services d'immigration du Mexique ont signalé en 2008 l’arrestation d’environ 39 000 clandestins, et le renvoi dans leur pays d’origine de 89 000 personnes.

La ville de Tapachula, à la frontière du Guatemala et du Mexique, est traversée par une voie de chemin de fer remontant vers le nord. Nombre de jeunes gens à la recherche d’un travail y attendent le long des voies le passage de trains qui traversent la ville au ralenti. Certains arrivent à monter, d'autres pas. Le refuge Jesús el Buen Pastor abrite 25 amputés qui ont lâché prise alors qu’ils tentaient l’aventure et sont tombés sous le train. Pour ces jeunes hommes, c'est « la fin de leur rêve américain », selon Olga Sánchez Martínez, directrice du refuge. Un prêtre local, Flor María Rigoni, appelle ces migrants “ les kamikaze de la pauvreté. ”

Des corps sont aujourd’hui quotidiennement rejetés sur les rivages de l'Italie, de l'Espagne, et de la Turquie, conséquences de tentatives désespérées entreprises par des gens désespérés. Chaque jour des Mexicains risquent leur vie dans le désert de l'Arizona pour trouver un emploi aux Etats-Unis. Ce sont en moyenne de l’ordre de 100 000 Mexicains, voire plus, qui quittent chaque année les régions rurales, abandonnant des lopins de terres trop petits ou trop érodés pour leur permettre de vivre. Ils migrent vers les villes mexicaines, ou tentent de franchir illégalement la frontière des Etats-Unis. Beaucoup de ceux qui tentent la traversée du désert de l'Arizona périssent dans la fournaise. Quelques 200 corps sont depuis 2001 retrouvés tous les ans le long de la frontière de l'Arizona.

La grande majorité des 2,4 milliards de personnes qui viendront s’ajouter à la population mondiale d'ici 2050 naîtra dans des pays où le niveau des nappes phréatiques est déjà en baisse. Les réfugiés de l'eau vont devenir de plus en plus communs. On les trouvera le plus fréquemment dans les régions arides et semi arides où l'approvisionnement en eau ne suffit plus aux populations et les enlise dans une forme de « pauvreté hydrique ». Des villages du nord-ouest de l'Inde sont déjà abandonnés parce que les nappes phréatiques y sont épuisées, laissant la population sans ressource en eau. Des millions de villageois, au nord et à l'ouest de la Chine et dans certaines régions du Mexique, devront peut-être migrer en raison d'une pénurie d'eau.

La progression des déserts accule des populations de plus en plus grandes sur des zones géographiques toujours plus restreintes. Alors que le Dust Bowl aux Etats-Unis (ndt : tempêtes de poussière dans le Middle West, dans les années 1930) a provoqué l’exode de 3 millions de personnes, l’avancée du désert dans les provinces du ‘Dust Bowl chinois’ pourrait forcer des dizaines de millions de personnes à tout abandonner à leur tour.

L'Afrique est aussi confrontée à ce problème. Le désert du Sahara pousse les populations du Maroc, de la Tunisie et de l'Algérie vers le Nord, en direction de la Méditerranée. Dans un effort désespéré pour composer avec la sécheresse et la désertification, le Maroc restructure son agriculture par secteurs géographiques, remplaçant les céréales par des vergers et des vignobles qui demandent moins d’eau.

En Iran, on compte déjà des milliers de villages abandonnés en raison de l'avancée des déserts ou du manque d'eau. 88 villages ont été abandonnés dans les environs de Damavand, une petite ville située à une heure de route de Téhéran. A mesure que le désert gagne au Nigéria, paysans et bergers sont contraints de se déplacer, entassés sur une surface de plus en plus réduite de terres productives. Les réfugiés de la désertification finissent habituellement leur périple dans les villes, et nombre d’entre eux vivent dans des bidonvilles. D'autres émigrent à l'étranger.

En Amérique latine, les déserts progressent et provoquent des déplacements de population, tant au Brésil qu’au Mexique. Quelques 66 millions d'hectares de terres sont touchés au Brésil, surtout dans le nord-est du pays. Le Mexique compte une proportion beaucoup plus importante de terres arides et semi arides ; la dégradation des terres cultivables concerne maintenant plus de 59 millions d'hectares.

Bien que la progression des déserts et les pénuries d’eau provoquent déjà le déplacement de millions de gens, la hausse du niveau des mers va probablement à l’avenir imposer le déracinement d’un nombre bien plus important de personnes, du fait de la forte proportion de la population mondiale habitant les villes côtières et les deltas de fleuves exploités comme rizières. Les chiffres pourraient atteindre au final des centaines de millions de personnes ; ceci constitue encore un autre argument de poids en faveur de la stabilisation du climat et de la population.

En fin de compte, la question principale posée par la montée des océans est de savoir si les instances gouvernementales seront capables de résister aux tensions politiques et économiques générées par le déplacement d’un grand nombre de personnes, malgré la perte des équipements industriels et des zones résidentielles côtières.

Durant ce siècle il va nous falloir composer avec les effets des évolutions mises en marche au cours du siècle dernier (forte croissance démographique, avancée des déserts, hausse du niveau des mers). L’alternative est simple : nous devons inverser ces tendances, ou prendre le risque qu'elles nous submergent.

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Adapté du chapitre 2, “Pression démographique : terre et eau” du Plan B 4.0: Mobiliser pour Sauver la Civilisation (New York: W.W. Norton & Company, 2009) de Lester R. Brown, disponible en ligne sur : www.earthpolicy.org/index.php?/books/pb4
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