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67 - JETER L'ECONOMIE DU JETABLE

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Earth Policy Institute
Extrait du Plan B 3.0
Le 20 août 2009

JETER L'ECONOMIE DU JETABLE

Lester R. Brown, traduit par Marc Zischka, Frédéric Jouffroy et Pierre-Yves Longaretti

Texte original:
http://www.earthpolicy.org/Books/Seg/PB3ch06_ss4.htm

Dans notre civilisation du début du 21ème siècle, les tensions se manifestent sous des formes très variées — sociales, économiques, environnementales, et politiques. Une illustration clairement malsaine et bien visible de l’ensemble de ces quatre tensions est le flot grandissant de déchets générés par une économie basée sur le jetable. Mise en place à l’issue de la Seconde Guerre mondiale comme un moyen de rendre plus de produits accessibles aux consommateurs, cette innovation est vite apparue comme un véhicule de création d’emplois et de soutien à la croissance. Selon ce raisonnement, plus grand serait le nombre de biens de consommation produits et jetés, et plus la création d’emplois augmenterait.

Leur côté pratique est ce qui a assuré le succès des produits jetables. Par exemple, plutôt que de laver serviettes et mouchoirs, les consommateurs ont préféré utiliser leurs équivalents jetables en papier. Ainsi, nous avons substitué des mouchoirs et des serviettes de table jetables à leurs équivalents en tissu, des essuie-mains en papier aux serviettes éponges, et des canettes jetables aux récipients consignés. Même les sacs à commissions que nous utilisons pour ramener nos courses à domicile font partie du flot de déchets.

L’économie du jetable est sur une trajectoire de collision frontale avec les limites géologiques de la Terre. Tout comme la saturation des décharges en limite des zones urbaines, la fin à court terme du pétrole bon marché indispensable à la fabrication et au transport des produits jetables va poser un problème majeur à ce mode de fonctionnement. Et d’une façon peut-être plus fondamentale, les ressources accessibles en plomb, étain, cuivre, minerai de fer, ou bauxite, ne permettent pas non plus de maintenir ce modèle économique sur plus d’une ou deux générations. Sur la base d’une croissance annuelle de 2 % de l’extraction minière, les données du Relevé Géologique des Etats-Unis, qui portent sur les ressources actuellement accessibles de façon économiquement viable, montrent qu’à l’échelle mondiale, les réserves minières s’élèvent à 17 ans pour le plomb, 19 ans pour l’étain, 25 ans pour le cuivre, 54 ans pour le fer et 68 ans pour la bauxite.

Les coûts d’évacuation des déchets hors des zones urbaines augmentent du fait de la saturation des décharges les plus proches et de l’augmentation du prix du pétrole. New York a été l’une des premières grandes villes à saturer ses décharges. Quand le dépotoir de Fresh Kills, destination des ordures de la ville, a été définitivement fermé en mars 2001, la ville de New York s’est vue contrainte de transporter ses déchets au New Jersey, en Pennsylvanie et même en Virginie — dans certains cas sur près de 500 kilomètres.

12.000 tonnes de déchets sont produites chaque jour à New York. Les camions assurant leur transport ayant une capacité de l’ordre de 20 tonnes, il faut quelques 600 semi-remorques par jour pour évacuer cette masse d’ordures de la ville. Ces engins forment un convoi de pratiquement 15 kilomètres de long — bloquant la circulation, polluant l’air, et augmentant les émissions de gaz carbonique.

Les communes des autres Etats dont les ressources fiscales sont faibles ou inexistantes sont candidates à l’accueil des déchets de la ville de New York — si elles sont suffisamment payées pour ça. Certaines le perçoivent comme une aubaine économique. Les gouvernements des Etats, de leur côté, doivent assumer l’accroissement des coûts de maintenance des routes, les embouteillages, l’accroissement de la pollution de l’air, le bruit, les pollutions aqueuses potentielles provoquées par des fuites des décharges et les plaintes des populations des communautés urbaines concernées.

Dans un courrier adressé en 2001 au maire de New York de l’époque, Rudy Giuliani, le gouverneur de Virginie Jim Gilmore se plaint du fait que la ville utilise l’Etat de Virginie comme décharge: “Je comprends le problème auquel New York doit faire face”, dit-il, “mais la patrie de Washington, Jefferson et Madison n’a aucune intention de devenir le dépotoir de New York.”

Les vicissitudes liées aux déchets urbains ne concernent pas que la ville de New York. Toronto, la plus grande ville du Canada, a fermé sa dernière décharge le 31 décembre 2002. Elle expédie maintenant ses 750 000 tonnes de déchets annuels dans le comté de Wayne, dans le Michigan.

À Athènes, capitale de la Grèce moderne et antique, la seule décharge disponible a atteint la saturation à la fin 2006. Les collectivités locales étant peu disposées à accepter les ordures d'Athènes, les 6000 tonnes de production quotidienne de la ville ont commencé à s'accumuler dans les rues, créant une crise sans précédent. Le pays a finalement commencé à prendre en compte ce que le commissaire à l'environnement de l'Union européenne, Stavros Dimas, grec lui aussi, désigne par « hiérarchie du gaspillage » : la priorité doit être donnée, dans l’ordre à la prévention de la production de déchets, à leur réutilisation, leur recyclage, et finalement leur récupération.

L'une des crises des ordures les plus récentes s’est produite en Chine. Comme tout le reste dans ce pays, la quantité d'ordures produite augmente rapidement. Xinhua, une agence de presse chinoise, signale qu'une étude utilisant un capteur aéroporté a détecté 7000 décharges d'ordures de taille supérieure à 50 mètres carrés dans les banlieues de Pékin, Tianjin, Shanghai, et Chongqing. Une importante partie des ordures de la Chine est recyclée, brûlée, ou compostée, mais une proportion encore plus grande est vidée dans les décharges (quand elles existent), ou simplement entassées sur des aires libres.

Ces exemples de problèmes de déchets en Chine sont dérangeants par eux-mêmes. Mais une analyse plus large des modes potentiels de consommation chinois dans un proche avenir montre pourquoi la généralisation du modèle économique occidental est impossible.

Pendant presque toute ma vie, j’ai entendu dire que les Etats-Unis, avec une population représentant 5% de la population mondiale, accapare plus du tiers de ses ressources, loin devant les autres pays. C’était vrai, mais çà ne l’est plus. La Chine a aujourd’hui détrôné les Etats-Unis dans la consommation des denrées de base.

Pour les cinq matières premières essentielles que sont les céréales, la viande, le pétrole, le charbon et l’acier, la consommation de la Chine a dépassé celle des Etats-Unis sur tous les fronts, sauf pour le pétrole, où les Etats-Unis ont encore une large avance même si celle-ci se réduit. La Chine consomme un tiers de céréales de plus que les Etats-Unis, deux fois plus de viande et trois fois plus d’acier.

Ces chiffres reflètent la consommation nationale, mais que se passera-t -il si la consommation par habitant en Chine rattrape celle des Etats-Unis? Si la croissance chinoise ralentit au rythme de 8 % par an au lieu des 10% de ces dernières années, avant 2030 son revenu par habitant sera égal à celui des Etats-Unis d’aujourd'hui.

En faisant de plus l’hypothèse que la structure de dépenses des chinois sera alors comparable a celle des américains aujourd’hui, nous pouvons estimer leur niveau de consommation. Si par exemple chaque chinois consomme du papier au rythme des américains actuellement, les 1,46 milliards d'habitants de la Chine en 2030 utiliseront plus de papier que le monde n'en produit aujourd'hui. Ce sera la fin des forêts.

Si la Chine devait un jour posséder trois véhicules pour quatre habitants, comme les Etats-Unis aujourd'hui, cela représenterait 1,1 milliards d’automobiles, largement plus que les 860 millions de la flotte mondiale actuelle. Les infrastructures nécessaires en terme de réseau routier ou autoroutier et en parking nécessiteraient l’aménagement d’une surface comparable à celle actuellement dévolue à la culture du riz.

Et si les besoins en pétrole suivent ceux des Etats-Unis, la Chine utilisera 98 millions de barils par jour. La production mondiale est actuellement de 85 millions de barils/jour, et ne dépassera probablement jamais ce niveau de façon significative. Ce sera la fin des réserves de pétrole.

Ce que la Chine nous apprend, c’est que le modèle économique occidental (carburants fossiles, automobiles et produits jetables) est inapplicable en Chine. S’il ne s’applique pas à la Chine, il ne s’appliquera pas non plus à l’Inde, dont la population devrait dépasser celle de la Chine avant 2030. Pas plus qu’aux trois milliards d’habitants des pays en voie de développement pour qui le niveau de vie américain est un idéal à atteindre. Dans une économie mondialisée de plus en plus intégrée, où les différents pays sont partout en compétition pour les mêmes ressources, les mêmes céréales, le même pétrole, le même minerai de fer; le modèle économique qui prévaut aujourd’hui aura également cessé d’être applicable aux pays industrialisés.

Le défi à relever pour notre génération est de développer une nouvelle économie, largement basée sur les énergies renouvelables. Elle aurait un système de transport beaucoup plus diversifié, et mettrait en œuvre la réutilisation et le recyclage généralisés. Nous disposons de la technologie pour construire cette économie, une économie qui nous permettra de maintenir le progrès économique. Pourrons-nous la développer suffisamment vite pour éviter un effondrement de la société ?

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Adapté du Chapitre 1, “Entrer dans un nouveau monde” et du chapitre 6 “Signes précoces de déclin” du livre de Lester R. Brown, Plan B 3.0: Mobilizing to Save Civilization (Mobiliser pour sauver la civilisation, ndlt) (New York: W.W. Norton & Company, 2008), disponible en téléchargement gratuit et à l'achat sur http://www.earthpolicy.org/index.php?/books/pb3

Une présentation résumée du plan B sous forme de diaporama est disponible sur:
http://www.earthpolicy.org/Books/PB3/presentation.htm.(en anglais), et:
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