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65 - LES LEÇONS DU PASSÉ

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Earth Policy Institute
Extrait du Plan B 3.0
Le 29 juillet 2009

LES LEÇONS DU PASSÉ

Lester R. Brown, traduit par Marc Zischka, Frédéric Jouffroy et Pierre-Yves Longaretti

Texte original:
http://www.earthpolicy.org/Books/Seg/PB3ch01_ss3.htm

Certaines civilisations disparues ont été confrontées à des problèmes environnementaux ; leur étude peut nous aider à comprendre la nature du dilemme qui se pose à nous. Notre civilisation du 21ème siècle n’est pas la première à faire face à la perspective d’un déclin économique provoqué par la dégradation de l’environnement. La question est de savoir comment nous allons réagir à cette situation.

Comme le montre Jared Diamond dans son ouvrage “Effondrement”, certaines sociétés anciennes confrontées à des problèmes environnementaux se sont avérées capables de s’adapter à temps pour éviter le déclin et l’effondrement. Par exemple, les Islandais du XIVème siècles ont pris conscience de l’érosion considérable des sols produite par le sur pâturage de leurs herbages d’altitude, dans une région où la couche de terre végétale était déjà réduite au départ. Plutôt que de se condamner au déclin par la perte de leurs terres, les fermiers ont réagi collectivement évaluant la taille des troupeaux de moutons que leurs terres permettaient d’élever de façon durable et en définissant des quotas destinés à préserver le potentiel de ces terres.

Mais toutes les sociétés n’ont pas été aussi chanceuses que la société islandaise, dont la production et l’industrie de la laine continuent aujourd’hui à prospérer. La civilisation de Sumer, 4.000 ans avant J-C, est un cas exceptionnel dans l’antiquité. Elle était beaucoup plus avancée que toutes celles qui l’ont précédée. Son système d’irrigation savamment conçu a favorisé l’émergence d’une agriculture hautement productive; ses agriculteurs ont ainsi pu dégager un surplus alimentaire, permettant aux premières cités du monde antique de se constituer. La gestion de ce système d’irrigation reposait sur une organisation sociale sophistiquée. Les Sumériens ont développé les premières villes et le premier langage écrit à base de caractères cunéiformes.

C’était en tout point une civilisation exceptionnelle, mais son système d’irrigation présentait une faille en terme environnemental, faille qui devait à terme miner ses ressources vivrières. L’eau était accumulée par des barrages construits le long de l’Euphrate, puis répartie sur les terres arables par un réseau de canaux gravitaires. Une fraction de cette eau irriguait les cultures, le reste s’évaporant ou s’enfonçant dans les sols. Le drainage naturel souterrain est faible dans cette région, et le niveau des nappes phréatiques a lentement augmenté par percolation. Quand ce niveau est arrivé à quelques centimètres de la surface, l’eau a commencé à s’évaporer dans l’atmosphère, produisant un enrichissement du sol en sel. Au fil du temps, cette accumulation de sel a affecté la productivité des terres.

Confrontés à la perte de rendement en blé qui s’ensuivit, les Sumériens se sont reportés sur l’orge, une plante moins sensible à la présence de sel. Bien qu’ayant ralenti la chute de Sumer, ce choix revenait à traiter le symptôme et non la cause. La concentration en sel a continué à augmenter, et les rendements en orge ont commencé à décliner eux aussi. La pénurie de ressources alimentaires induite a complètement miné la structure économique de cette grande civilisation. Son déclin a suivi celui des rendements agricoles.

Le Nouveau Monde a hébergé une civilisation faisant pendant à celle de Sumer: la civilisation Maya; elle s’était développée sur les terres basses de ce qui constitue de nos jours le Guatemala. Cette civilisation s’est épanouie de 250 avant J-C. jusqu’à son effondrement aux alentours de l’an 900. Comme les Sumériens, les Mayas avaient développé une agriculture sophistiquée et très productive ; elle utilisait des parcelles agricoles surélevées, sillonnées par un réseau de canaux d’irrigation.

Comme pour Sumer, la chute de la civilisation Maya est apparemment liée à une défaillance du système d’approvisionnement. Pour cette civilisation du Nouveau Monde, ce sont la déforestation et l’érosion des sols, en conjonction avec une série de sécheresses, qui ont miné l’agriculture. La pénurie alimentaire a semble-t-il déclenché des guerres civiles entre les différentes cités Maya, dans leurs luttes pour assurer leur approvisionnement. De nos jours, cette région est recouverte par la jungle ; la nature y a repris ses droits.

Les Islandais ont réussi à provoquer un basculement majeur de leur organisation politique, qui leur a permis de prendre des mesures collectives de limitation du pâturage avant que la détérioration des prairies n’atteigne le point de non-retour. Les Sumériens et les Mayas n’y sont pas parvenus. Le temps leur a manqué.

Aujourd’hui, nos succès et nos problèmes découlent de l’extraordinaire croissance de l’économie mondiale au cours du siècle dernier. Cette croissance économique, qui se mesurait autrefois en milliards de dollars, se chiffre aujourd’hui en milliers de milliards de dollars. La seule croissance annuelle de production de biens et services de ces dernières années dépasse la production totale de l’économie mondiale en l’an 1900.

L’économie croit exponentiellement, mais les services écologiques mis à disposition par la Terre, comme la fourniture d’eau douce, ou de produits issus de la forêt et de la mer, sont restés inchangés. Pour la première fois dans l’histoire, les demandes de l’ensemble de l’humanité ont dépassé la capacité de régénération de la planète aux alentours de 1980. La demande globale de ressources issues des systèmes naturels dépasse aujourd’hui leur capacité de production soutenable de presque 30 pour cent. Nous répondons aux demandes actuelles en consommant le capital naturel de la Terre, préparant ainsi les conditions du déclin et de l’effondrement.

Il est facile, dans notre civilisation high-tech moderne, d’oublier que l’économie, et donc notre existence, dépendent complètement des ressources et des systèmes naturels de la planète. Nous dépendons par exemple, du système climatique de la Terre pour maintenir un environnement propice à l’agriculture, et du cycle hydrologique de l’eau pour nous fournir de l’eau douce; nous dépendons aussi des processus géologiques de longue durée qui transforment les roches en sol, qui ont fait de la Terre une planète si biologiquement productive.

Nous sommes aujourd’hui si nombreux à exercer une telle pression sur les ressources de la planète que ses capacités naturelles ne permettent plus de répondre à nos besoins. Les forêts disparaissent. Chaque année, le sur pâturage transforme de larges étendues de prairies en déserts. Le pompage des eaux souterraines dépasse le débit naturel de recharge des nappes phréatiques dans des pays qui abritent la moitié de l’humanité, laissant beaucoup d’habitants sans accès suffisant à l’eau.

Chacun de nous dépend des produits et services fournis par les écosystèmes de la Terre, des forêts aux zones humides, des récifs coralliens aux prairies. La purification des eaux, la pollinisation, la séquestration du carbone, le contrôle des inondations et la préservation des sols figurent parmi les services que rendent ces écosystèmes. Une étude menée pendant quatre ans par 1360 scientifiques et portant sur les écosystèmes du monde, appelée Millenium Ecosystem Assessment, indique que 15 des 24 services rendus par les écosystèmes primaires sont dégradés ou poussés au delà de leurs limites. Par exemple, les trois quarts des pêcheries océaniques, qui constituent une source majeure de protéines pour l’alimentation humaine, sont exploitées à leur limite ou au delà, et beaucoup sont en passe de s’effondrer.

Les forêts tropicales, dont la vaste forêt amazonienne, constituent un autre écosystème soumis à une importante pression. Aujourd’hui environ 20 pour cent de la forêt tropicale a été défrichée, pour y faire paître du bétail ou cultiver du soja. 22 autres pour cent ont été clairsemés par l’abattage forestier et la construction de routes; les rayonnement solaire peut maintenant atteindre le sol et l’assécher, augmentant le risque d’incendie. La forêt tropicale devient vulnérable, et brûle quand elle est touchée par la foudre. Les scientifiques estiment que le point de non retour pourrait être atteint si la moitié de la forêt Amazonienne est défrichée ou clairsemée ; la forêt ne pourrait plus alors être sauvée. Daniel Nepstad, un scientifique expérimenté du centre de recherche Woods Hole, basé en Amazonie, prédit pour le futur des feux de forêt géants balayant la jungle asséchée. Il fait remarquer que le carbone stocké dans la forêt Amazonienne représente environ l’équivalent de 15 ans d’émissions de carbone d’origine humaine dans l’atmosphère. Si nous atteignons ce point de bascule, nous aurons enclenché une réaction climatique majeure, et atteint un autre stade qui pourrait contribuer à sceller notre sort en tant que civilisation.

La pression excessive sur une ressource donnée commence habituellement dans quelques pays et s’étend ensuite lentement à d’autres. Le Nigeria et les Philippines, qui étaient autrefois des pays exportateurs de produits forestiers, en importent désormais. La Thaïlande, aujourd’hui largement déforestée, a interdit l’abattage forestier. La Chine a fait de même et importe les grumes dont elle a besoin de la Sibérie et des quelques pays de l’Asie du Sud-Est ayant encore des forêts, comme la Birmanie et la Papouasie-Nouvelle Guinée.

Du fait de l’assèchement des puits, de la transformation des prairies en déserts, et de l’érosion des sols, les populations sont obligées d’émigrer, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de leurs frontières nationales. Le déclin économique provenant de la surexploitation locale de l’environnement provoque un flot de réfugiés environnementaux.

Les différents pays du monde doivent aujourd’hui faire face simultanément à plusieurs mécanismes de dégradation environnementale, dont certaines se renforcent mutuellement. Les anciennes civilisations comme les Sumériens et les Mayas n’avaient souvent qu’une existence locale, se développant et s’effondrant de manière isolée par rapport au reste du monde. La situation actuelle est au contraire globale : soit nous réussirons à nous mobiliser pour sauver notre civilisation commune, soit nous serons tous des victimes potentielles de sa désintégration.

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Adapté du Chapitre 1, “Entrer dans un nouveau monde,” du livre de Lester R. Brown, Plan B 3.0: Mobilizing to Save Civilization (Mobiliser pour sauver la civilisation, ndlt) (New York: W.W. Norton & Company, 2008), disponible en téléchargement gratuit et à l’achat sur http://www.earthpolicy.org/Books/PB3/index.htm.

Une présentation résumée du plan B sous forme de diaporama est disponible sur:
http://www.earthpolicy.org/Books/PB3/presentation.htm.(en anglais), et:
http://www.alternativeplanetaire.com/sites/alternativeplanetaire.com/files/docs/resume-PB3.pdf (en français)

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