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64 - REPENSER LA PRODUCTION ALIMENTAIRE
POUR UN MONDE DE 8 MILLIARDS DE PERSONNES

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Earth Policy Institute
Extrait du Plan B 3.0
Le 7 juillet 2009

REPENSER LA PRODUCTION ALIMENTAIRE POUR UN MONDE DE 8 MILLIARDS DE PERSONNES

Lester R. Brown, traduit par Marc Zischka, Frédéric Jouffroy et Pierre-Yves Longaretti

Texte original:
http://www.earthpolicy.org/Books/Seg/PB3ch09_ss1.htm

Le Programme Mondial Alimentaire des Nations Unies et le gouvernement Chinois ont conjointement annoncé en Avril 2005 l’arrêt l'aide alimentaire pour ce pays à la fin de l’année. C’est un événement historique pour un pays où la famine touchait encore des centaines de millions de personnes à la génération précédente. La Chine non seulement ne dépend plus du programme d'aide alimentaire mondiale, mais est devenue quasiment du jour au lendemain un des principaux contributeurs de ce programme; elle figure aujourd'hui au 3ème rang des pays donateurs.

Les réformes économiques de 1978 sont à la base de cette réussite. Ces réformes ont conduit à démanteler le système des collectivités agricoles, connu sous le nom d'équipes de production. Celles-ci ont alors été remplacées par des fermes familiales; la terre a été partagée dans chaque village entre les familles, avec attribution de baux de longue durée sur les parcelles. Ce changement a libéré l'énergie et l'ingéniosité de la population rurale chinoise, provoquant la progression de 50% de la récolte de céréales entre 1977 et 1986. En moins d'une décennie, la Chine a fait disparaître la plupart de ses problèmes de famine ; il s’agit là d’une avancée sans équivalent dans l’Histoire Mondiale. Cet exploit résulte de la conjonction de trois facteurs : l'augmentation du revenu par habitant lié à la forte croissance économique, le ralentissement de la poussée démographique, et la hausse de la production céréalière.

Alors même que la faim était éradiquée en Chine, celle-ci a gagné du terrain dans la plupart des pays en voie de développement, notamment en Afrique sub-saharienne et dans certaines régions du sous-continent indien. Après un minimum historique récent (800 millions en 1996), le nombre de personnes souffrant de la faim est remonté à plus de 1 milliard aujourd'hui. Une partie de cette hausse peut être attribuée aux prix plus élevés des denrées alimentaires et à la crise économique globale. En l'absence de mesures politiques adaptées et de grande ampleur, le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde va inéluctablement continuer à augmenter ; les enfants, notamment, comptent parmi les premières victimes de la famine.

S'attaquer à ce problème exige d'agir sur le long terme : dans les conditions actuelles la demande alimentaire croit plus vite que la production, malgré l’augmentation de la production des dernières décennies. Depuis 1950, on a observé un triplement des récoltes mondiales de céréales ; c’est le résultat de l'adoption rapide dans certains pays en développement de variétés de blés et de riz à haut rendement (développés à l'origine au Japon) et de maïs hybride (provenant des Etats-Unis), combinée au triplement des surfaces irriguées et une multiplication par 11 de l'utilisation d'engrais. Le recours à l’irrigation et aux engrais permet de pallier aux déficiences de précipitation et de fertilité des sols d’une grande partie des terres agricoles de la planète.

Mais les perspectives sont en train de changer. Les agriculteurs sont confrontés à toute une série de nouveaux problèmes : réduction des volumes d'eau d’irrigation, plafonnement des rendements malgré l'augmentation des volumes d’engrais, températures plus élevées du fait du réchauffement climatique, perte de terres arables au profit d’utilisations non agricoles, augmentation des prix des carburants, alors que les possibilités techniques d’amélioration des rendements sont de plus en plus limitées. Dans le même temps, l’agriculture doit aussi faire face à une demande en forte progression liée à différents facteurs : la démographie mondiale s’accroît de près de 79 millions de personnes par an, près de 3 milliards de personnes réclament plus de produits d’origine animale, et des millions d'automobilistes se tournent vers les agro-carburants pour faire face à la tension sur l’approvisionnement en essence et en diesel. Cette collision de tendances représente un défi gigantesque pour les agriculteurs et les agronomes.

Le plafonnement des rendements agricoles s’observe partout dans le monde : l’usage des techniques agricoles performantes s’étant généralisée sur la planète, la productivité des terres agricoles sature. Les rendements céréaliers à l’hectare ont augmenté de 2,1 % par an entre 1950 et 1990, provoquant une croissance rapide de la production mondiale de céréales. Cette croissance n’a cependant plus été que de 1,3 % entre 1990 et 2008. C’est dû pour partie à la saturation des rendements vis-à-vis d’une augmentation supplémentaire des volumes d’engrais utilisés, et pour partie à la disponibilité limitée de l’eau d’irrigation.

Cette situation exige de nouvelles approches pour améliorer la productivité des récoltes. L’une d’entre elles consiste à multiplier les plantations de variétés plus tolérantes à la sécheresse et au froid. Les céréaliers américains ont par exemple développé des variétés de maïs qui tolèrent mieux la sécheresse, permettant de produire du maïs plus à l'ouest dans le pays, au Kansas, au Nebraska, et au Dakota du Sud. Dans le Kansas, qui est le principal producteur de blé des Etats-Unis, on utilise suivant les régions l'irrigation ou une combinaison de variétés résistantes à la sécheresse pour augmenter la production de maïs qui dépasse maintenant celle du blé dans cet état.

Une autre façon d'augmenter la productivité de la terre, du moins là où les conditions d’humidité sont favorables, est d’accroître la superficie des zones de polyculture permettant la production de plusieurs récoltes par an. Le triplement des récoltes observé depuis 1950 est en effet en partie dû à une augmentation impressionnante de la pratique de la polyculture en Asie. Les combinaisons les plus communément pratiquées sont le blé et le maïs dans le nord de la Chine, le blé et le riz dans le nord de l’Inde, et la double ou triple récolte de riz dans le sud de la Chine et le sud de l’Inde.

La généralisation de la double récolte de blé d’hiver et de maïs dans la plaine du nord de la Chine a fait croître la production chinoise de céréales au niveau de celle des Etats-Unis. Le blé d’hiver cultivé en Chine donne pratiquement 5 tonnes à l’hectare. Le rendement du maïs tourne également autour de 5 tonnes. Prises ensemble, ces deux cultures, pratiquées en alternance, peuvent donner jusqu’à 10 tonnes de céréales par hectare et par an. Les doubles récoltes de riz chinoises s’élèvent à 8 tonnes à l’hectare.

Il y a quarante ans, le nord de l’Inde produisait seulement du blé, mais avec l’arrivée de variétés de blé et de riz à hauts rendements et à maturation précoce, le blé a pu être récolté à temps pour planter le riz. Cette combinaison blé/riz est maintenant largement répandue dans le Penjab, l’Haryana, et dans des parties de l’Uttar Pradesh. Elle produit des rendements de 5 tonnes de céréales à l’hectare, qui s’avèrent essentiels pour nourrir les 1,2 milliards d’habitants de l’Inde.

Un effort concerté des Etats-Unis pour développer des variétés précoces et dans le même temps encourager des pratiques agricoles favorisant la polyculture pourrait augmenter de façon substantielle la production. L’exemple des agriculteurs chinois, produisant à grande échelle des doubles récoltes de blé et de maïs, montre que des résultats semblables sont tout à fait atteignables aux Etats-Unis si la recherche et la politique agricole sont réorientées dans cette direction.

L’Europe de l’Ouest bénéficie d’hivers cléments et de blés d’hiver à hauts rendements. Elle pourrait accroître la pratique de la polyculture, à l’aide de variétés d’été, notamment de maïs ou de certains oléagineux. Ailleurs dans le monde, le Brésil et l’Argentine bénéficient d’une longue saison hors gel qui permet une pratique extensive de la polyculture ; il s’agit souvent de blé ou de maïs couplé à du soja.

Dans de nombreux pays, dont les Etats-Unis, la plupart des pays de l’ouest de l’Europe et le Japon, l’usage des engrais a atteint un niveau tel qu’un surcroît d’utilisation serait de peu d’effet sur les rendements agricoles. Il reste néanmoins beaucoup de régions, dont la plus grande partie de l’Afrique, où les rendements peuvent être augmentés de cette façon. Malheureusement, l’Afrique sub-saharienne ne dispose pas des infrastructures nécessaires au transport bon marché de ces engrais vers les villages qui en ont besoin. Du fait de l’appauvrissement des sols en nutriments, les rendements stagnent dans l’essentiel de l’Afrique sub-saharienne.

La culture simultanée de céréales et d’arbustes légumineux peut constituer une option prometteuse dans cette région du monde. Ces arbres ont une première phase de croissance assez lente, laissant le temps à la céréale d’arriver à maturité et d’être récoltée. Les arbustes poussent ensuite plus rapidement jusqu’à atteindre un ou deux mètres de haut ; ils perdent alors leurs feuilles qui apportent de l’azote et de la matière organique dont les sols africains ont particulièrement besoin. Une fois les feuilles tombées, le bois est coupé et utilisé comme combustible. Cette technique simple et très bien adaptée aux besoins locaux a été développée par les scientifiques du Centre de Recherche Internationale en Agroforesterie de Nairobi. Elle a permis aux agriculteurs de doubler leur récolte de céréales en l’espace de quelques années, tout en renouvelant la fertilité des sols.

En dépit d'avancées locales, le ralentissement global de la croissance de la production agricole est indubitable. Nous ne pourrons y faire face qu’en réexaminant sérieusement les questions de démographie, de type d’alimentation (en redescendant dans la chaîne alimentaire) et de productivité des cultures existantes. Parvenir à un équilibre alimentaire acceptable au niveau mondial dépend largement de notre capacité à stabiliser la population aussi vite que possible, à réduire la consommation excessive (et néfaste à la santé) de produits animaux dans les pays industrialisés et à restreindre la transformation de produits agricoles en carburants. Un effort collectif global est également nécessaire pour augmenter la productivité de l'utilisation de l'eau jusqu’à des niveaux comparables à ceux obtenus pour les rendements des terres, et stabiliser le climat pour éviter les sécheresses et les vagues de chaleur qui détruisent les récoltes.

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Adapté du chapitre 9, "Nourrir correctement huit milliard d'êtres humains," du Plan B 3.0 de Lester R. Brown: Mobilizing to Save Civilization (Mobiliser pour sauver la civilisation, ndlt) (New York: W.W. Norton & Company, 2008), disponible en téléchargement gratuit et à l'achat sur http://www.earthpolicy.org/index.php?/books/pb3.

Lisez davantage sur Stabiliser la population sur : www.earthpolicy.org/Books/Seg/PB3ch07_ss3.htm
Lisez davantage sur Augmenter la productivité de l'eau sur : www.earthpolicy.org/Books/Seg/PB3ch09_ss3.htm
Lisez davantage sur Stabiliser le climat sur : www.earthpolicy.org/Books/PB3/80by2020.htm

NOTE: Le Forum mondial a été reprogrammé du 28 février au 3 mars 2010. Pour plus d'information, visitez : http://www.worldforum.org/state-2009.htm

Une présentation résumée du plan B sous forme de diaporama est disponible sur:
http://www.earthpolicy.org/Books/PB3/presentation.htm.(en anglais), et:
http://www.alternativeplanetaire.com/sites/alternativeplanetaire.com/files/docs/resume-PB3.pdf (en français)

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http://www.ecologik-business.com/inscription-newsleter-lester-brown.html

L’association Alternative Planétaire est le relais en France des idées et du travail de l’Earth Policy Institute:
http://www.alternativeplanetaire.com

Information complémentaire: www.earthpolicy.org

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