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60 - BESOIN D’UNE REVOLUTION COPERNICIENNE

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Earth Policy Institute
Extrait du livre Eco-économie : Une autre croissance est possible, écologique et durable
Le 7 mai 2009

LA NECESSITE D’UNE NOUVELLE REVOLUTION COPERNICIENNE

Texte original:
http://www.earth-policy.org/index.php?/book_bytes/2009/eech01_ss1

Lester R. Brown, traduit par Marc Zischka, Frédéric Jouffroy et Pierre-Yves Longaretti

En 1543 paraissait l’ouvrage de Nicolas Copernic « Des révolutions des sphères célestes ». L'astronome polonais y affirmait que la terre tournait autour du soleil, remettant en cause l’idée de l’époque selon laquelle au contraire le soleil tournait autour de la terre. Son nouveau modèle du système solaire a provoqué un large débat parmi les scientifiques, les théologiens, et les autres penseurs de l’époque. Son alternative au modèle plus ancien de Ptolémée, plaçant la terre au centre de l'univers, a conduit à une révolution dans la façon de penser et à une nouvelle vision du monde.

Aujourd'hui, un changement similaire est nécessaire dans notre vision du monde, dans la façon dont nous pensons la relation entre la Terre et l'économie. La question n’est plus de savoir qui de la Terre ou du Soleil est au centre du système solaire, mais si l'environnement fait partie de l'économie ou l’inverse. Les économistes voient l'environnement comme un sous-ensemble de l'économie, alors que les écologistes voient au contraire l'économie comme un sous-ensemble de l'environnement.

Comme le modèle de Ptolémée du système solaire, le modèle des économistes brouille la compréhension de notre monde moderne. Il a créé une économie qui n'est plus en phase avec l'écosystème dont elle dépend.

La théorie économique et ses indicateurs n'expliquent pas comment l'économie perturbe et détruit les écosystèmes de la terre ; elle n'explique pas pourquoi la banquise Arctique fond. Elle n'explique pas pourquoi les prairies se transforment en désert dans le Nord-Ouest de la Chine, pourquoi les récifs coralliens meurent dans le Pacifique sud, ou pourquoi les pêcheries de morue de Terre-Neuve se sont effondrées. Elle n'explique pas non plus pourquoi nous sommes au début de la plus grande extinction de flore et de faune depuis l’extinction des dinosaures il y a 65 millions d'années. Les sciences économiques sont pourtant essentielles pour mesurer le coût de ces excès pour la société.

Tous les jours, des preuves du conflit entre économie et écosystèmes sont rapportées dans les médias: effondrement des pêcheries, déforestation, érosion des sols, détérioration des pâturages, expansion des déserts, hausse de la concentration atmosphérique en dioxyde de carbone, assèchement des nappes phréatiques, élévation des températures, tempêtes plus destructrices, fonte des glaciers, montée du niveau des mers, mort des récifs coralliens, disparition d’espèces. Ces évolutions témoignent de la pression croissante de l'économie sur les écosystèmes de la planète. Elles ont un coût de plus en plus élevé et pourraient à terme annihiler les progrès enregistrés au niveau mondial, conduisant au déclin économique.

Ces tendances sont de plus en plus visibles et montrent que lorsque le fonctionnement d’un sous-système (l'économie) n'est pas compatible avec le comportement du système dont il fait partie (l'écosystème planétaire) ; tous deux finissent par en subir les conséquences. A la lumière de l’actualité économique et financière des dernières années, on peut se demander si nous n’observons pas les prémisses d’un dépassement des capacités de l’environnement par le système économique. Plus l'économie grossit par rapport à l'écosystème, plus elle exerce de pressions sur les limites naturelles de la planète, et plus cette incompatibilité sera destructrice. Le défi de notre génération est de renverser ces évolutions avant que les dégâts faits à l’environnement ne mènent au déclin économique à long terme, comme cela s'est produit pour tant de civilisations du passé.

Une économie soutenable du point de vue de l'environnement (une eco-économie) implique que les principes de l'écologie encadrent la politique économique, et que les économistes et les écologistes travaillent ensemble pour la mettre sur pied. Les écologistes ont pris conscience que toute l'activité économique, en fait toute vie, dépend de l'écosystème de la planète, c’est-à-dire l’interaction complexe entre les espèces et leur habitat. Des millions d'espèces subsistent dans un équilibre délicat, une intrication de chaînes alimentaires et de cycles de nutriments, impliquant le cycle hydrologique et le système climatique. Les économistes ont développé des outils permettant de traduire des objectifs que l’on se fixe en mesures politiques de mise en oeuvre. Un effort collaboratif entre économistes et écologistes permettrait de construire une éco-économie compatible avec un développement réellement durable.

La prise de conscience à la Renaissance que la Terre n'est pas au centre du système solaire a ouvert la voie à de grandes avancées en astronomie et en physique. De même, reconnaître que l'économie ne constitue pas la fondement de l’existence de notre monde ouvre la voie au progrès de l’économie et de la condition humaine. L’élaboration par Copernic de sa théorie révolutionnaire a produit à l’époque deux visions du monde très différentes : celle de Ptolémée, la plus ancienne, et la vision copernicienne, radicalement différente. La même opposition existe de nos jours entre les visions économiste et écologique du monde.

Ces différences entre l'écologie et les sciences économiques sont fondamentales. Par exemple, les écologistes s'inquiètent des limites, alors que les économistes ont tendance à ne pas percevoir des telles contraintes. Les écologistes, prenant exemple sur la nature, raisonnent en termes de cycles fermés, alors que les économistes voient l’activité humaine de façon linéaire, ou en tout cas comme un système ouvert. Les économistes ont une grande confiance dans le marché, alors que les écologistes appréhendent souvent celui-ci de manière adéquate.

En ce début de 21ème siècle, le fossé séparant économistes et écologistes dans leur perception du monde ne peut être plus large : sur la base de la croissance sans précédent de l'économie globale, du commerce international et de l'investissement, les économistes ont prédit un futur encore plus prospère. Ils soulignent avec une légitime fierté la multiplication par 7 de l'expansion économique en cinquante ans, faisant passer la production de 6 000 milliards de dollars de biens et de services en 1950 à 43 000 milliards de dollars au tournant du siècle, et entraînant une hausse inouïe des niveaux de vie. De leur côté, les écologistes réalisent que ces changements sont le résultat d’un recours massif aux combustibles fossiles, rendu possible par des prix artificiellement peu élevés, et menant à un dérèglement du climat. Ils prévoient des canicules plus intenses, des tempêtes plus destructrices, la fonte des calottes glaciaires, l’élévation du niveau des mers, conduisant à une réduction des terres arables alors même que la population est amenée à s’accroître. Les économistes prévoient l’explosion des indicateurs économiques, les écologistes, au contraire, une dégradation climatique aux conséquences inimaginables si l’économie poursuit sur sa lancée.

Les économistes comptent sur le marché pour guider leur prise de décision. Leur respect du marché provient de son efficacité dans l’allocation des ressources, qu’aucun système de planification centralisé ne peut égaler (ce que les Soviétiques ont appris à leurs dépens). Les écologistes regardent ce même marché avec beaucoup plus de suspicion, parce qu'il distord la vérité environnementale. Par exemple, le prix d’un litre d'essence ne recouvre dans les faits que l’extraction du pétrole, le raffinage, et le transport jusqu’au distributeur final. Le prix payé ne prend pas en compte les coûts de traitement des maladies respiratoires dues à la pollution atmosphérique ou les coûts du bouleversement climatique.

Nous avons créé une économie qui est en conflit avec l’écosystème sur lequel elle repose, qui épuise rapidement le capital naturel de la planète, se plaçant sur un chemin de dégradation environnementale qui mènera forcément au déclin. Cette économie n’est pas compatible avec un développement durable réel ; elle ne peut pas nous mener là où nous voulons aller. De la même façon que Copernic a du formuler une nouvelle vision du monde astronomique fondée sur des décennies d'observations célestes et de calculs mathématiques, nous devons aussi formuler une nouvelle vision du monde économique basée sur plusieurs décennies d'observations et d'analyses environnementales. Une relation solide entre l'économie et l'écosystème de la Terre est essentielle pour que tout progrès soit durable.

Bien que l'idée que les sciences économiques doivent être intégrées dans l'écologie puisse sembler radicale à beaucoup, il est de plus en plus évident que c'est la seule approche qui reflète la réalité. Quand les observations ne correspondent plus à la théorie, il est temps de changer la théorie, ce que l'historien des sciences Thomas Kuhn appelle un changement de paradigme. Si l'économie est un sous-ensemble de l'écosystème de la planète, seule une politique économique respectant les principes de l'écologie peut réussir.

Il est encourageant de constater que les économistes deviennent plus conscients des contraintes écologiques, reconnaissant la dépendance inhérente de l'économie à l'égard de l'écosystème de la Terre. Par exemple, environ 2 500 économistes (dont huit Prix Nobel) ont approuvé l'introduction d'une taxe carbone pour stabiliser le climat. De plus en plus d’économistes recherchent des solutions pour que le marché puisse dire la vérité écologique.

Le modèle industriel existant n’est pas compatible avec la poursuite d’un développement durable. Dans nos efforts pour soutenir l'économie mondiale actuelle sur le court ou le très court terme, nous épuisons le capital naturel de la planète. Nous passons beaucoup de temps à nous inquiéter de nos déficits économiques, mais ce sont les déficits écologiques qui menacent notre futur à long terme. Les déficits économiques reflètent ce que nous empruntons les uns aux autres ; les déficits écologiques quant à eux représentent ce que nous prenons aux générations futures.

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Adapté du chapitre 1, “ L'économie et la terre, ” de Eco-économie : Une autre croissance est possible, écologique et durable de Lester, R. Brown, traduit par Denis Trierweiler (editions Seuil, 2003), disponible pour le téléchargement et l'achat libres chez www.earthpolicy.org/Books/Eco/index.htm.

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Adapté du chapitre 1, « L'économie et la terre, » de Eco-économie : Une autre croissance est possible, écologique et durable de Lester, R. Brown, traduit par Denis Trierweiler (editions Seuil, 2003), disponible pour le téléchargement et l'achat libres sur: www.earthpolicy.org/Books/Eco/index.htm.

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Une présentation résumée du plan B sous forme de diaporama est disponible en anglais sur www.earthpolicy.org/Books/PB3/presentation.htm et en français sur www.alternativeplanetaire.org

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