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191 - LE DUST BOWL RÉEXAMINÉ

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Publication du Earth Policy Institute
Communiqué de presse
27 septembre 2012

 

LE DUST BOWL RÉEXAMINÉ

 

texte original : http://www.earth-policy.org/plan_b_updates/2012/update109

Janet Larsen, traduite par Marc Zischka et Frédéric Jouffroy

Le 18 octobre 2012, l'agence Associated Press rapportait qu'une "énorme tempête de poussière soulevant des nuages de couleur ocre sur le nord de l'Oklahoma avait provoqué un accident impliquant plusieurs véhicules sur une autoroute ... obligeant la police à arrêter le trafic sur cet axe très fréquenté, dans des conditions proches de l’obscurité totale." La terre avait récemment été labourée par les agriculteurs de la région pour y semer du blé d'hiver. Les vents forts ont facilement emporté un sol mis à nu et desséché par la longue sécheresse qui a frappé l’été dernier près des deux tiers du territoire continental des États-Unis et sévit encore sur les Grandes Plaines. Le ciel s’est retrouvé obscurci sur une région allant du sud du Nebraska jusqu'en Oklahoma, en passant par le Kansas.

Bien que Jim Reese, ministre de l'agriculture de l'Oklahoma, ait été formel quand à l’impossibilité du retour à un situation antérieure, les observateurs ne pouvaient que faire le rapprochement avec le Dust Bowl des années 1930 qui recouvrit 40 millions d'hectares dans l'ouest du Kansas, le nord du Texas, le sud-ouest de l'Oklahoma, le nord-est du Nouveau-Mexique, et le sud-est du Colorado.

Dans les premières décennies du XXe siècle, les colons travailleurs des plaines semi-arides, ainsi que des agriculteurs d’adoption opportunistes venus pour gagner rapidement de l’argent ont labouré des millions d'hectares de prairie indigène. Avec l’assurance que “la pluie suit la charrue”, et attirés par les incitations gouvernementales, les promesses du chemin de fer, et l'espoir de trouver une place pour leurs familles, ces agriculteurs ont utilisé les nouvelles technologies disponibles (tracteurs, charrues puissantes et moissonneuses mécanisées) pour retourner la prairie qui avait longtemps été le support de la vie des tribus amérindiennes et des millions de bisons.

La terre a commencé à être labourée au cours d’un cycle d’années pluvieuses, et les premières récoltes furent bonnes. Les prix élevés du blé, soutenus pendant la Première Guerre mondiale par la demande et des garanties gouvernementales, encouragèrent à mettre en labour toujours plus de terres. Mais avec le choc de la Grande Dépression, le prix du blé s'effondra et les champs furent abandonnés. Quand la sécheresse est arrivée au début des années 1930, les sols ont été soufflés, perdant leur fertilité emportée par le vent incessant. La terre, dépouillée de sa pellicule vivante, et n’étant plus retenue par sa matrice complexe de plantes vivaces d'herbes de prairie, s’est alors envolée.

Hauts comme des montagnes et noirs comme la nuit, des nuages s’abattaient sur les campagnes. Les tempêtes de poussière frappaient régulièrement les colons ; les plus importantes d’entre elles retinrent l’attention quand elles obscurcirent le ciel à New York et à Washington, et recouvrirent même le pont des navires à des centaines de kilomètres de là, au milieu de l'Atlantique. Des dunes se formèrent et se déplacèrent, enterrant les voies ferrées, les clôtures, et les voitures. Des “pneumonies de la poussière” apparurent, ont emporté des vies, souvent celles d'enfants. Les gens se mirent à fuir le pays en masse.

dust bowl maison

Dans The Worst Hard Time, Timothy Egan décrit la perte de la couche arable, parlant d’une “couverture fertile ayant mis plusieurs milliers d’années à se constituer et disparaissant jour après jour’, remettant en cause la confiance aveugle et démesurée des laboureurs envers les capacités de la terre, mise en évidence par la déclaration du Bureau des Sols de 1909 : "Le sol est l'atout indestructible, inaltérable que le pays possède. C'est la seule ressource qui ne peut pas être épuisée." La région que l’on avait rebaptisée Grandes plaines avait alors pris un aspect indiquant qu’on devrait bientôt lui rendre son nom d'origine : le Grand Désert Américain.

Quand au printemps de 1935, une série de tempêtes de poussière vint jusqu’à atteindre Washington, le Congrès jusqu’alors réticent accepta finalement d'allouer des fonds pour lutter contre l’érosion des sols. Des subventions gouvernementales permirent la mise en place de pratiques favorisant le maintien en place des terres, s’appuyant sur les instructions venant du Service de conservation des sols nouvellement créé. Des graminées furent replantées ainsi que des haies arbustives, permettant de ralentir les vents continuels ; des cultures en courbes de niveau ou en terrasses furent adoptées, respectant le relief naturel de la campagne ; la culture en bandes alternée fut utilisée pour garder une protection sur le sol, et les rotations de culture et périodes de jachère permirent à la terre de se reposer.

Bien que certaines des terres du Dust Bowl n’aient jamais pu être récupérées, laissant des villes fantômes abandonnées par leurs habitants, la plupart des zones autrefois touchées sont aujourd’hui redevenues des centres majeurs de production alimentaire. La production de blé dans le Kansas, le Texas, l'Oklahoma et le Colorado avait baissé en 1933 de près des trois quarts par rapport à son record de 1931 de 11,2 millions de tonnes. Il a fallu attendre 1947 pour retrouver ce niveau de 1931; en 2012, la production de blé de ces quatre États a dépassé 19 millions de tonnes, représentant un tiers de la production américaine.

dust boowl nuage poussière

Après la Seconde Guerre mondiale, les technologies de forage de puits et de pompage ont permis aux agriculteurs d’aller puiser dans la nappe aquifère d'Ogallala, un immense réservoir d'eau situé sous les Grandes Plaines, s'étendant du sud du Dakota du Sud jusqu’au Nord du Texas. L'irrigation s'est étendue, utilisant des arroseurs à pivot central créant des cercles verts recouvrant les carrés bruns qui sont familiers à tous ceux qui ont survolé le centre des États-Unis.

Dans les dernières décennies, l'irrigation a permis de déplacer vers l’Ouest et des terres plus sèches la “ Corn Belt ”, zone traditionnelle de culture du maïs. Le Kansas, par exemple, qu'on appelle parfois "l'État du blé", produisant un sixième de la récolte américaine, fournit aujourd'hui autant de maïs que de blé. Le blé se contente en règle générale des précipitations naturelles, mais plus de la moitié du maïs est irrigué.

Avec l’augmentation du pompage de l'eau souterraine, le niveau des nappes phréatiques a baissé. L'épuisement est particulièrement inquiétant dans les plaines du Centre et du Sud du pays, où les pluies ne permettent pratiquement pas de faire remonter le niveau de l'aquifère, présageant la fin de l'utilisation de cette ressource limitée. L'irrigation a connu un essor dans les états du Dust Bowl historique, mais elle y est désormais en recul en de nombreux endroits. Avec l’assèchement des puits, certains agriculteurs sont retournés à la culture conventionnelle du blé sans irrigation, avec comme conséquence des rendements généralement fortement en baisse ; d'autres ont carrément arrêté la culture du blé sous toutes ses formes.

Au Kansas, le niveau de la nappe phréatique a baissé en moyenne de 7 mètres, avec certaines valeurs extrêmes détectées à plus de 45 mètres. La baisse est encore plus importante au Nord du Texas. La surface irriguée sur l’ensemble de l’Etat a baissé de plus de 20 pour cent par rapport à son record datant de près de 40 ans. La baisse rapide de la nappe phréatique durant la sécheresse n’a conduit que récemment à la mise en place de restrictions sur les pompages des puits individuels, afin de ralentir son épuisement. Selon les scientifiques de l'Université du Texas à Austin et de l'US Geological Survey, si les taux actuels de pompage se poursuivent, l'irrigation ne sera plus possible d'ici 30 ans sur plus du tiers de la région Sud des Hautes Plaines.

Au-delà de la simple question agricole, les climatologues indiquent clairement que cette sécheresse récente correspond tout à fait au type d'événement dont on prévoit qu’ils deviendront plus fréquents avec le réchauffement climatique. Les cultures non irriguées vont donc aussi avoir des problèmes. En l'absence de réductions drastiques des émissions de gaz à effet de serre, les modèles climatiques s’accordent sur fait que le réchauffement planétaire en cours pourrait faire entrer une grande partie de l'ouest des États-Unis, du Kansas à la Californie dans un état de sécheresse à long terme, que le physicien Joseph Romm a nommé "dust bowlification.".

irrigation Grandes Plaines, USA


Les mesures de préservation des sols aujourd’hui en place ont permis d’éviter le développement d’évènements de type Dust Bowl dans les Grandes Plaines, à l’occasion des sécheresses des années 1950, du milieu des années 1970, du début des années 2000, et à nouveau en 2011-2012, cette dernière ayant vu le Texas et l'Oklahoma battre leurs records de températures maximales. Mais le sol tiendra t’il dans le futur ? Les États-Unis sont de loin le premier exportateur mondial de céréales, et le sort du "grenier à blé" de ce pays a donc une influence forte sur les prix des denrées alimentaires et la sécurité alimentaire à travers le monde.
 
Bien qu’aujourd’hui nous comprenions mieux et prenions plus soin des sols qu'au début du siècle dernier, leur érosion dépasse toujours leur vitesse de renouvellement sur la plupart des terres des Etats-Unis. L’association de la hausse des températures, de sécheresses prolongées et de restrictions à l’irrigation mettent le doute sur les possibilités d’une production agricole continue à grande échelle dans les Grandes Plaines. Comme si la traversée de la pire récession depuis la Grande Dépression ne suffisait pas pour rappeler aux Américains des moments sombres de leur l’histoire, le changement climatique et la pression de la croissance démographique et de la consommation imposent de produire de plus en plus d'aliments sur des surfaces limitées et rendront la répétition du Dust Bowl difficile à éviter.

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