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192 - ETAT DES LIEUX : LES PRISES MONDIALES DE POISSONS CHUTENT À 90 MILLIONS DE TONNES EN 2012

 
 

Publication du Earth Policy Institute
Indicateur eco-économie
19 novembre 2012

 

ETAT DES LIEUX :
LES PRISES MONDIALES DE POISSONS CHUTENT À 90 MILLIONS DE TONNES EN 2012

 

texte original : http://www.earth-policy.org/indicators/C55/fish_catch_2012

J. Matthew Roney, traduit par Frédéric Jouffroy et Marc Zischka

La FAO, Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation prévoit pour 2012 une chute des captures mondiales de poissons à 90 millions de tonnes, en recul de 2 % par rapport à 2011. Ce chiffre est près de 4 % plus bas que le record absolu de 94 millions de tonnes atteint en 1996. Les prises de poissons sauvages par personne ont chuté de façon encore plus spectaculaire, passant d’un record de 17 kg atteint en 1988 à 13 kg en 2012, en baisse depuis 37 ans. Si les prises de poissons sauvages ont plafonné, la production aquacole a en revanche grimpé en flèche, passant de 24 millions de tonnes au milieu des années 1990 à 67 millions de tonnes prévues pour l’année 2012.

prises mondiales de poissons dans le monde, élevage pisciculture

Au cours des dernières décennies, pour suivre l’augmentation spectaculaire de la demande en poissons et fruits de mer, les technologies liées à la pêche sont devenues de plus en plus sophistiquées. Elles font par exemple appel à des moyens de réfrigération et de transformation embarqués, à des avions de reconnaissance et aux GPS satellites. Les flottes de pêches industrielles se sont d’abord attaquées aux pêcheries côtières de l’hémisphère nord, puis au fur et à mesure de leur épuisement, ont progressé vers le sud, au rythme moyen annuel de près d’un degré de latitude depuis 1950. La progression la plus rapide s’est produite aux cours des années 1980 et au début des années 1990. Les derniers territoires exploités ont ensuite été la haute mer, les eaux difficiles d’accès près des pôles, et les grands fonds.

L’escalade dans la traque du poisson (dont les revenus bruts dépassent maintenant 80 milliards de dollars par an) a eu de lourdes conséquences écologiques, y compris dans la chaîne alimentaire marine, en raison de l’importante réduction des populations des grands poissons prédateurs comme le thon, la morue et le marlin. L’utilisation d’engins de pêche non sélectifs, dont les palangres et les chaluts de grand fond, tue de grandes quantités de poissons non visés, comme les tortues, les requins et les coraux.

En 2009, près de 57 % des pêcheries océaniques étaient évaluées par la FAO comme étant “ pleinement exploitées ”, avec des captures proches ou au niveau de ce que les scientifiques appellent le Rendement Maximum Durable (RMD). Si nous voyons une pêcherie comme un compte en banque, pécher au RMD est théoriquement similaire à la seule utilisation des intérêts du compte, sans toucher au capital investi.

Près de 30 % des pêcheries sont surexploitées – le niveau des prises y a été supérieur au RMD et demande une gestion drastique de façon à pouvoir se reconstituer. La proportion de ces pêcheries a triplé depuis le milieu des années 1970. Un exemple connu est la pêcherie de morue de Terre Neuve qui s’est effondrée au début des années 1990 et ne se reconstitue toujours pas.

Il reste donc seulement 13 % de pêcheries océaniques “ non complètement exploitées ”, un chiffre en baisse de 40 % depuis 1974. Malheureusement, on ne pourra vraisemblablement pas y augmenter les captures de façon notable, sans les compromettre.

Les données de la FAO englobent 395 pêcheries représentant 70 % des prises mondiales. Parmi elles, seule une petite minorité a fait l’objet de longues et coûteuses évaluations formelles scientifiques des stocks, les autres étant classées comme “ non évaluées ”. Il existe des milliers d’autres pêcheries non évaluées, mais qui ne figurent pas dans l’analyse de la FAO. Dans un article paru dans Science en 2012, Christopher Costello et son équipe ont publié la première tentative faite pour caractériser au niveau mondial l’ensemble de ces pêcheries non évaluées. Les auteurs indiquent que 64 % d’entre elles étaient surexploitées en 2009.

Les 10 premières espèces pêchées représentent à peu près un quart des prises mondiales. Presque toutes les pêcheries de ces espèces sont considérées comme complètement exploitées (la plupart de ces espèces comptant plusieurs pêcheries géographiquement différentes) dont les 2 pêcheries principales de l’anchois au Pérou, qui est le premier poisson sauvage péché au niveau mondial. Parmi les pêcheries surexploitées et devant se reconstituer figurent le poisson-sabre commun, un prédateur filiforme péché principalement par des navires chinois, au nord-ouest du Pacifique (voir les données).

Malgré le caractère non durable du niveau actuel des captures, les pays continuent à subventionner des flottes de pêches, et donc à encore augmenter potentiellement le nombre de prises. À travers le monde, les gouvernements dépensent annuellement 16 milliards de dollars pour développer leurs flottes et capacités de pêche, dont 4 milliards sous la forme de subventions au carburant. Les dépenses des pays industrialisés s’élèvent à 10 milliards de dollars, et celle de la Chine près de 2 milliards. Pour cette dernière, les prises annuelles de 15 millions de tonnes représentent presque 3 fois celles de son plus proche voisin, l’Indonésie.

Les pêcheries au niveau mondial font apparaître un cas typique de baisse des rendements. Dans un article paru en 2012 dans le journal “ Fish & Fisheries ”, des scientifiques ont montré que la puissance propulsive cumulée de la flotte de pêche mondiale a été multipliée par 10 depuis 1950, quand les prises ne progressaient dans le même temps que dans un rapport 5 ; pour l’Asie, où se trouvent 3,2 millions des 4,4 millions d’embarcations de la flotte mondiale, cette puissance a été multipliée par 25. En d’autres termes, pour prendre une tonne de poisson, les bateaux doivent consommer deux fois plus d’énergie qu’il y a 60 ans.

Les produits venus de la mer jouent un rôle vital dans la sécurité alimentaire mondiale et, pour près de 3 milliards de personnes, représentent près de 20 % des protéines animales qu’ils consomment. Il n’est peut-être pas surprenant que ce ratio monte à 50 % ou plus dans les petites îles des pays en développement. Ceci est également le cas pour certains pays beaucoup plus peuplés, comme le Bangladesh ou l’Indonésie comptant au total 400 millions de personnes.

Avec la stagnation des prises de poisson sauvage, l’aquaculture est devenue la source de protéine animale qui progresse le plus vite au niveau mondial ; elle devrait bientôt dépasser le bœuf en terme de tonnage. La Chine, qui pratique l’élevage de la carpe depuis des millénaires, a produit en 2010 37 millions de tonnes de poisson d’élevage, soit 60 % du total mondial.

Six des dix premiers poissons d’élevage au niveau mondial sont des espèces de carpes filtreuses ou herbivores. Un inconvénient souvent cité de l’aquaculture est cependant qu’elle entraîne des prises importantes de petits poissons planctonivores intermédiaires dans la chaîne alimentaire, souvent transformés en granulés et en huile utilisés pour nourrir des espèces d’élevage carnivores comme les saumons ou les crevettes. Dans les faits, la plupart des anchois capturés terminent comme aliments pour poissons, cochons et volailles d’élevage.

Alors que la proportion des poissons péchés destinés à l’alimentation des poissons d’élevage diminue depuis le milieu des années 1990, les scientifiques ont récemment appelé à une réduction de moitié de la pression de pêche exercée sur les espèces fourragères, bien en dessous du RMD. Ils indiquent qu’en cas de conditions environnementales défavorables conduisant une année donnée à des faibles taux de reproduction, seule une baisse très importante des quotas de pêche permettrait de constituer un réservoir, pour prévenir l’effondrement des stocks et les répercussions sur la chaîne alimentaire. Les évènements récents concernant la pêcherie de l’anchois du Pérou permettent d’illustrer la vulnérabilité de ces espèces fourragères. Les eaux tièdes de l’Océan Pacifique associées à un phénomène El Niño modéré ont provoqué une baisse de 40 % de la population d’anchois entre 2011 et 2012. En réaction, le Pérou, qui représente plus de 80 % des captures, a diminué de deux tiers ses quotas de prises autorisées pour la saison à venir, soit le plus bas niveau depuis 25 ans. Le régulateur en chef des pêcheries a indiqué que “ des quotas 0 auraient dû être techniquement mis en place ”.

Il existe un espoir de reconstituer les pêcheries mondiales. Dans plusieurs systèmes régionaux étudiés de longue date, de nombreuses pêcheries ont pu se rétablir après s’être effondrées grâce à l’adoption d’un ensemble de mesures de gestion, comprenant la restriction des engins de pêche, la baisse et la répartition entre pécheurs des quotas de pêche alloués, et la mise en place de zones de protection maritimes (ZPMs). Ainsi par exemple, au Kenya, sur les récifs coralliens, les communautés ont arrêté la pratique de la senne et mis en place la cogestion d’un réseau de zones ‘sans prélèvements’. Il en est résulté une augmentation de la biomasse marine, de la taille des poissons, et des revenus des pécheurs.

Il existe actuellement à l'échelle mondiale 8,1 millions de km² de ZPMs, représentant une superficie supérieure à l’Australie, mais ne couvrant que 2 % des océans. Les ZPMs bien conçues et gérées, offrant différents niveaux de protection, procurent de nombreux bénéfices écologiques et sociaux, mais les réserves marines où la pêche est interdite sont les plus efficaces. Une étude de 2010 portant sur les réserves sanctuarisées de la Grande Barrière de Corail en Australie a montré que la quantité et la taille des poissons pouvaient aller jusqu’à y doubler, mais qu’elles avaient aussi un impact positif sur leur environnement. L’Australie a annoncé en juin 2012 qu’elle pourrait faire passer son nombre de réserves de tous types de 27 à 60 et protéger ainsi un tiers de ses eaux territoriales.

En 1883, A l’occasion d’une exposition internationale consacrée aux pêcheries, Thomas Huxley, président de la British Royal Society, déclarait que “ Les grandes pêcheries étaient probablement inépuisables, ce qui veut dire que rien ne pouvait faire chuter sérieusement le nombre de poissons ”. Cette façon de voir a largement prévalu au cours du 20e siècle. Confronté désormais depuis plusieurs décennies aux preuves du contraire, le monde a fait quelques progrès. Mais assurer un avenir aux pêcheries du monde, en particulier dans un contexte de réchauffement et d’acidification des océans, demande d’agir beaucoup plus vite pour appliquer les avis scientifiques.

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