Publication du Earth Policy Institute
Mise à jour du Plan B
24 juillet 2012

LE MONDE CONNAÎT UNE SITUATION DÉLICATE SUR LE PLAN ALIMENTAIRE

texte original : http://www.earth-policy.org/plan_b_updates/2012/update104

Lester R. Brown , traduit par Marc Zischka et Frédéric Jouffroy

Au début du printemps 2012, près de 39 millions d'hectares de maïs ont été semés aux Etats-Unis, ce qui constitue un record en terme de superficie depuis 75 ans. Grâce à des conditions propices assez chaudes, les cultures ont bien démarré, et les analystes prévoyaient une récolte record.

Les Etats-Unis sont le premier pays producteur et exportateur de maïs, et ce dernier représente les quatre cinquièmes de la production céréalière des Etats-Unis. Il est aussi la première céréale fourragère au monde. La production américaine de maïs dépasse au niveau international l’ensemble de celles de riz et de blé de la Chine. Le maïs est désormais la première des trois grandes céréales cultivées aujourd’hui dans le monde (maïs, blé et riz) ; sa production est bien supérieure à celle du blé, et atteint presque le double de celle du riz.

La productivité du plant de maïs n’a d’égal que sa sensibilité aux conditions extérieures. Exigeant beaucoup d’eau et poussant vite, il craint autant les grosses chaleurs que la sécheresse. Aux températures élevées, la plante, normalement si productive, entre en état de choc thermique.

Avec l’arrivée de l’été, le thermomètre a commencé à grimper dans la Corn Belt (zone de production du maïs aux Etats-Unis). Au Sud, à St. Louis, dans le Missouri, la température est restée supérieure ou égale à 38 degrés Celsius pendant 10 jours d’affilée, entre fin juin et début juillet. Depuis, pendant ces dernières semaines, une chaleur desséchante a régné sur la région.

L’examen des cartes de relevés de sécheresse publiées chaque semaine par l'Université du Nebraska montrent que la zone frappée par la sécheresse s’est étendue au cours du temps ; à la mi-juillet, elle englobait la quasi-totalité de la Corn Belt, et les relevés de taux d'humidité du sol de la région sont maintenant parmi les plus bas jamais enregistrés.

Même si températures, précipitations et sécheresse constituent des indicateurs indirects des conditions de croissance des cultures, le Ministère de l'Agriculture américain publie chaque semaine un rapport sur l'état réel des cultures de maïs. Cette année, les premiers rapports étaient prometteurs ; le 21 mai, 77 % de la récolte de maïs américaine était jugée bonne à excellente ; la semaine suivante, ce chiffre était descendu à 72 % ; au cours des huit semaines suivantes, il a chuté à 26 %, l'une des plus faibles valeurs jamais enregistrées, le reste des cultures étant considérées comme allant de très médiocre à passable. Et les cultures ont continué à se détériorer.

En quelques semaines, nous avons pu voir comment les événements météorologiques extrêmes qui accompagnent le changement climatique peuvent affecter la sécurité alimentaire. Depuis la début juin, les prix du maïs ont presque augmenté de moitié, pour atteindre un record absolu le 19 juillet.

Le monde espérait une bonne récolte américaine pour reconstituer des stocks céréaliers dangereusement bas, mais ce ne sera pas le cas. Les stocks tampons (c’est à dire la quantité restante dans les silos quand la récolte suivante commence) vont encore diminuer cette année, ce qui rend la situation alimentaire encore plus précaire. Les prix des denrées alimentaires, déjà élevés, vont suivre la hausse des prix du maïs, et pourraient atteindre des niveaux records.

La dégradation en cours ne concerne pas seulement la situation alimentaire, mais aussi tout le système alimentaire mondial. Nous en avons vu les premiers signes en 2008 quand les cours mondiaux des céréales ont brutalement doublé. Face à l’augmentation mondiale des prix des denrées alimentaires, les pays exportateurs ont commencé à restreindre leurs livraisons de céréales pour maintenir bas les prix alimentaires sur leurs marchés intérieurs. Les gouvernements des pays importateurs se sont mis à paniquer ; certains d'entre eux se sont tournés vers l'achat ou la location de terres à l’étranger, pour y produire de la nourriture pour eux-mêmes.

Bienvenue dans une nouvelle géopolitique de la pénurie alimentaire ! Avec la montée des tensions sur les approvisionnements en nourriture, nous entrons dans une nouvelle ère alimentaire, dans laquelle chaque pays pensera exclusivement à lui.

Le monde vit une situation critique sur le plan alimentaire, mais il y a peu de raisons de penser que les dirigeants politiques aient saisi l'ampleur de ce qui est en train de se passer. La baisse du nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde, qui s’est poursuivie au cours des dernières décennies, s’est aujourd’hui inversée. À moins que nous n’adoptions rapidement de nouvelles politiques démographiques, énergétiques et hydriques, l'objectif d'éradication de la faim ne restera qu’un vœu pieux.

Le temps presse. Le monde pourrait être bien plus proche d'une crise alimentaire ingérable (flambées des prix alimentaires, émeutes de la faim et au final instabilités politiques) que ne le réalise la plupart des gens.

* NOTE : Cet article a été publié dans The Guardian le mardi 24 juillet 2012.

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Lester R. Brown est le président du Earth Policy Institute et auteur de Full Planet, Empty Plates: The New Geopolitics of Food Scarcity (Planète pleine, assiettes vides : La nouvelle géopolitique de la pénurie alimentaire, ndlt) (date de sortie : 1er octobre 2012). Consultez le site Web de l'EPI pour plus de détails sur comment pré-commander le livre. Données et ressources supplémentaires sur : http://www.earthpolicy.org .

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