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178 - DEUX VISIONS DE NOTRE FUTUR

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Publication du Earth Policy Institute
Extrait du livre "Basculement"
27 juin 2012

 

DEUX VISIONS DE NOTRE FUTUR

 

texte original : http://www.earth-policy.org/book_bytes/2012/wotech1_2

Lester R. Brown , traduit par Marc Zischka et Frédéric Jouffroy

Aucune civilisation du passé n’a survécu à la destruction continue de son écosystème. La nôtre n’y survivra pas non plus. Les économistes voient pourtant le futur sous un angle totalement différent. En basant principalement leurs indicateurs de progrès sur des statistiques économiques, ils considèrent que le décuplement de la taille de l’économie enregistré depuis les années 1950 et la progression associée du niveau de vie constituent la plus belle réussite de notre civilisation moderne. Au cours de cette période et à l’échelle mondiale, les revenus par personne ont presque quadruplé, propulsant le niveau de vie à des niveaux inimaginables auparavant. La croissance annuelle de l’économie se mesurait il y a un siècle en milliards de dollars ; elle se mesure aujourd’hui en milliers de milliards de dollars. Aux yeux des économistes néo-classiques, le monde n’a pas seulement un glorieux passé économique mais également un futur prometteur.

Ces économistes voient la récession économique globale de 2008-2009 et le quasi effondrement du système financier international qui s’en est ensuivi comme un simple incident de parcours, même s’il est d’une ampleur exceptionnelle, avant un retour à une croissance normale. Les prévisions de croissance économique, qu’elles proviennent de la Banque Mondiale, de Goldman Sachs ou de la Deutsche Bank se basent toutes sur une expansion de l’économie mondiale de 3 % par an. A ce rythme, la sphère économique pourrait facilement avoir doublé en 2035 par rapport à son niveau de 2010. Sur de telles bases, la croissance économique à venir est plus ou moins une extrapolation de celle observée lors des dernières décennies.

Mais pour les spécialistes en sciences naturelles, l’expansion de l’économie mondiale d’un facteur 20 au cours du dernier siècle a révélé une défaillance qui sonnera le glas de notre civilisation en l’absence de correction majeure. A un certain moment, ce qui n’était que prédations locales excessives sur les écosystèmes quand l’économie était de petite taille a pris une envergure mondiale.

Une étude menée par un groupe de scientifiques dirigé par Mathis Wackernagel a entrepris de mesurer l’ensemble de ces pressions sur les systèmes naturels terrestres — y compris la sur concentration de CO2 dans l’atmosphère — au moyen d’un seul indice, l’empreinte écologique. Les auteurs ont conclu que la demande collective de l’humanité a dépassé pour la première fois les capacités de régénération de la planète autour de 1980. En 2007, ce dépassement s’élevait à 50 % de la production renouvelable. En d’autres termes, il nous faudrait une planète et demie pour faire face à notre niveau de consommation actuel. Les indicateurs environnementaux montrent que l’érosion des écosystèmes qui constituent les fondements de notre économie est largement en cours, une dégradation de notre environnement qui conduit au déclin économique et à l’effondrement sociétal.

Comment en est-on arrivé à cette vision si manifestement aux antipodes de la réalité environnementale ? L’économie de marché mondiale est en péril du fait de son mode de gestion actuel. Le marché est une institution qui fonctionne bien sur de nombreux plans ; il permet d’attribuer les ressources avec une efficacité qu’aucun système centralisé ne pourrait planifier et encore moins réaliser.

Cependant, ce marché qui fixe les prix est trompeur. Il ne prend pas en compte des coûts indirects (externalités) qui dans certains cas sont maintenant bien plus élevés que les coûts directs. Prenons le cas de l’essence : pomper le pétrole, le raffiner en carburant et livrer ce dernier dans les stations-service américaines peut coûter de l’ordre de 0,80 $ par litre. Les coûts indirects, dont le changement climatique, le traitement des maladies respiratoires, les marées noires et la présence militaire des États-Unis au Moyen Orient pour sécuriser l’accès au pétrole représentent au total plus de 3 $ supplémentaires par litre. Un calcul similaire peut être fait pour le charbon.

Notre système de comptabilité nous enferme dans une fiction. Ne pas tenir compte de coûts aussi colossaux dans un bilan conduit droit à la faillite. De même, la faillite de l’économie mondiale et à terme de notre civilisation elle-même est inscrite dans les évolutions environnementales actuelles. La baisse actuelle des nappes phréatiques est un indicateur de l’augmentation future des prix alimentaires ; la fonte de la banquise est un prélude à la baisse de valeur de l’immobilier en zone côtière.

Plus gravement encore, le courant de pensée économique dominant ne porte guère d’attention à la notion de seuil de production durable des écosystèmes. Les modalités moderne de la décision économique et politique ont créé une économie tellement déconnectée de son environnement qu’elle est menacée d’effondrement. Comment pouvons-nous supposer que la croissance d’un système économique fondé sur le réchauffement de la planète et la fonte des glaciers, sur la destruction des forêts, l’érosion des sols, l’épuisement des nappes phréatiques, l’effondrement des ressources halieutiques, puisse simplement se prolonger dans le futur ? Quel processus intellectuel peut justifier de telles extrapolations ?

L’économie en tant que discipline scientifique doit effectuer sa révolution copernicienne. A une époque où l’on croyait que le soleil tournait autour de la terre, Copernic a dû formuler une nouvelle vision du monde céleste fondée sur des décennies d'observations et de calculs astronomiques. De même, la contrainte écologique nous impose d’élaborer un nouveau paradigme économique fondé sur plusieurs décennies d'observations et d'analyses environnementales.

L’archéologie nous apprend que la disparition d’une civilisation n’est jamais le fruit du hasard, mais résulte d’un processus de déclin et d’effondrement. Un effondrement économique et social est presque toujours précédé d’une période de déclin économique.

Suivant les cas, ce déclin s’explique soit par une cause environnementale unique, soit par une multiplicité de facteurs environnementaux. Pour la civilisation sumérienne, l’augmentation de la concentration de sel dans le sol, provoquée par une faille dans la conception de leur système d’irrigation par ailleurs remarquable, a été le facteur décisif. Cette salinisation progressive a finalement causé une baisse des rendements en blé ; les Sumériens ont alors remplacé le blé par l’orge, céréale plus tolérante au sel. Lorsque finalement les rendements de l’orge se sont mis eux aussi à décliner, la civilisation sumérienne a disparu.

Dans le cas de la civilisation Maya, le déclin s’explique par la déforestation et l’érosion des sols. L’expansion de l’empire Maya a nécessité un défrichement continu, et les rendements agricoles ont été affectés par l’érosion induite des sols tropicaux. Une équipe de scientifiques de la NASA a constaté que ce défrichage extensif a vraisemblablement aussi altéré le climat régional, en réduisant la pluviométrie. Les scientifiques suggèrent en fait que les crises alimentaires qui ont causé la chute de la civilisation Maya résultent de la conjonction de plusieurs causes environnementales et de l’amplification mutuelle d’une partie d’entre elles.

Bien que nous vivions dans une société très urbanisée et technologiquement avancée, nous sommes tout aussi dépendants des écosystèmes planétaires que ne l’étaient les Sumériens ou les Mayas. Si l’activité économique se poursuit sans changement (business as usual), la question ne sera plus de savoir si, mais quand notre civilisation s’effondrera elle aussi. Notre économie détruit les écosystèmes et nous met sur la voie du déclin et de l’effondrement.

La réalité de notre situation pourrait rapidement devenir plus évidente aux yeux des économistes du courant dominant, car nous commençons à ressentir les premiers effets de la surconsommation des ressources de la planète, notamment à travers l’augmentation des prix alimentaires. La tendance la plus alarmante sur le plan social est celle de la progression de la faim dans le monde.

La croissance démographique mondiale entraîne une réduction relative des terres arables, l’assèchement des puits, la disparition des forêts, l’érosion des sols, la montée du chômage et la progression de la faim dans le monde. Dans ces conditions, les gouvernements les plus fragiles perdent leur capacité à gouverner. Ils deviennent des États défaillants, des pays dont les gouvernements ne peuvent plus assurer la sécurité individuelle ou les services sociaux de base, comme l’instruction ou l’accès aux soins. La liste des états défaillants s’allonge chaque année et soulève une question dérangeante : combien de défaillances d’États notre civilisation pourra-t-elle supporter avant de sombrer elle même dans le chaos ?

Combien de temps pourrons-nous rester encore dans cette phase de déclin, tant du point de vue de la liquidation de notre patrimoine naturel et de l’extension de la famine que de la multiplication des états défaillants, avant que notre civilisation ne commence à se désagréger ? Nous sommes dangereusement proches du point de basculement. Peter Goldmark, ancien président de la fondation Rockefeller, l’exprime clairement : " la mort de notre civilisation n'est plus une théorie ou une possibilité abstraite, c'est le chemin sur lequel nous nous sommes engagés ".

Adapté de "Basculement" livre de lester Brown. Version anglaise disponible en ligne: www.earth-policy.org/books/wote.
présentation en français de l'ouvrage :
ftp://ftp2.ecologik-business.com/ecologikb/Wote_FR.pdf
 
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