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69 - LES RESTRICTIONS ALIMENTAIRES POURRAIENT-ELLES ABATTRE LA CIVILISATION?

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Earth Policy Institute
Publication de nouvelles
Le 29 septembre 2009

LES RESTRICTIONS ALIMENTAIRES POURRAIENT- ELLES ABATTRE LA CIVILISATION?

Lester R. Brown, traduit par Marc Zischka, Frédéric Jouffroy et Pierre-Yves Longaretti

texte original:
http://www.earth-policy.org/index.php?/books/pb4/pb4pr
et
Plan B 4.0 Fact Sheet (PDF)
http://www.earth-policy.org/images/uploads/book_files/Fact_Sheet.pdf

“Début 2008, l’Arabie Saoudite a annoncé qu’après plus de 20 ans d’autosuffisance dans la production de blé,, la nappe phréatique non renouvelable qui assurait l’irrigation était en grande partie épuisée.
En conséquence, les autorités ont indiqué qu’elles réduiraient la récolte de blé d’un huitième tous les ans jusqu’à l’arrêt total de la production en 2016. Les Saoudiens prévoient ensuite d’employer leurs revenus pétroliers pour importer pratiquement toutes les céréales consommées par leur population de presque 30 millions de personne — une population comparable à celle du Canada ”

Ces mots sont tirés du dernier livre de Lester R. Brown “ Plan B 4.0 : se mobiliser pour sauver la civilisation" publié en langue anglaise chez W.W. Norton & Cie. ; Lester Brown est président et fondateur de l’Earth Policy Institute, une organisation indépendante de recherche environnementale basée à Washington.

"L’Arabie Saoudite constitue un cas unique de dépendance totale vis-à-vis de l’irrigation” poursuit Lester Brown. Mais d’autres producteurs de céréales bien plus importants, comme l’Inde et la Chine, se trouvent devant des pénuries d’eau d’irrigation et sont menacés par une baisse de leur production agricole.

Une étude de la Banque Mondiale portant sur l’équilibre hydrologique de l’Inde indique que 15 pour cent de sa récolte de céréales proviennent de pompage excessif. Autrement dit, 175 millions d’Indiens sont nourris par des céréales produites à partir de puits qui vont finir par s’assécher. En Chine, la population concernée est de 130 millions. Le Pakistan, l’Iran, et le Yémen figurent aussi parmi les nombreux autres pays qui font face à une baisse de leurs récoltes du fait de l’épuisement des nappes phréatiques
“ Le triplement des prix mondiaux du blé, du riz, du maïs entre mi 2006 et mi 2008 a mis en évidence notre vulnérabilité croissante face aux pénuries alimentaires, ” dit Lester Brown. “ Il a fallu la plus forte récession économique depuis la crise de 1929 pour faire baisser les prix des céréales. ”
“ Les dernières décennies ont été témoins des hausses subites des cours mondiaux des céréales, mais elles étaient conjoncturelles : une sécheresse dans l’ex-Union soviétique, une mauvaise mousson en Inde, ou une canicule fatale aux récoltes dans la zone de culture du maïs aux États-Unis. Mais la récente tendance à la hausse est systémique, et résulte de notre incapacité à inverser les évolutions environnementales qui minent la production alimentaire mondiale. ”

Outre la baisse des nappes phréatiques, Ces évolutions se traduisent par l’érosion des sols et la hausse des températures liée aux émissions croissantes de gaz à effet de serre. L’élévation des températures provoque non seulement des canicules qui affectent les récoltes, mais aussi la fonte des calottes glacières, l’élévation du niveau de la mer et le recul des glaciers de montagne.

Le niveau de la mer pourrait monter d’1,8 mètre pendant ce siècle avec l’accélération de la fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique Occidental. Selon Lester Brown, “ une telle élévation inonderait une grande partie du delta du Mékong, qui produit la moitié du riz au Vietnam, second exportateur mondial de riz. Une élévation d’un mètre seulement du niveau de la mer recouvrirait la moitié des rizières au Bangladesh, un pays de 160 millions de personnes. Et ces chiffres ne prennent en compte que deux des nombreux deltas d’Asie où se fait la production de riz. ”

“ Les glaciers des montagnes du monde ont reculé pendant 18 années consécutives. Beaucoup de petits glaciers ont disparu. Mais la fonte des glaciers n’est nulle part ailleurs plus alarmante qu’en Himalaya et sur le plateau Tibétain, où ils alimentent non seulement le débit de l’Indus, du Gange, du Yang-Tseu-Kiang, et du Fleuve Jaune pendant la saison sèche, mais aussi les systèmes d’irrigation qui en dépendent. Sans ces glaciers, beaucoup de fleuves asiatiques cesseraient de couler pendant la saison sèche. ”

Les récoltes de blé et de riz de la Chine et de l’Inde en seraient directement affectées. La Chine est le principal producteur mondial de blé, et l’Inde le deuxième (les Etats-Unis arrivent au troisième rang). La Chine et l’Inde dominent totalement la récolte mondiale de riz. La poursuite de la logique économique habituelle conduit à la fonte de ces glaciers ; leur disparition constitue la menace la plus importante pour la sécurité alimentaire dans l’histoire de l’humanité.

Le nombre de personnes souffrant de la faim, qui a baissé pendant plusieurs décennies, a atteint son minimum de 815 millions au milieu des années 90. Il est remonté à 915 millions en 2008 et a franchi le cap du milliard en 2009. Ce chiffre va augmenter de pair avec les prix des denrées alimentaires mondiales, laissant des millions de familles se battre pour la survie avec un repas par jour.

“ Nous savons, par l’étude des civilisations du passé comme celle des Sumériens, des Mayas, et beaucoup d’autres, ” rappelle Lester Brown, “ que le plus souvent ce sont des pénuries alimentaires qui ont provoqué leur effondrement. Il apparaît maintenant que l’alimentation peut aussi être le maillon faible de notre civilisation de ce début du 21ème siècle.

“ La planète entre dans une nouvelle ère en matière de sécurité alimentaire, caractérisée par une augmentation des prix, une progression de la faim dans le monde, et l’émergence d’une politique de pénurie. Comme les pays exportateurs de céréales limitent ou même interdisent ces exportations pour éviter que les prix alimentaires ne s’emballent sur le marché intérieur, les pays importateurs perdent confiance en la capacité du marché à répondre leurs besoins. En réaction, les pays les plus riches tels que l’Arabie Saoudite la Chine, et la Corée du Sud louent ou achètent de grandes superficies de terre dans les pays en voie de développement, qu’ils mettent en culture à leur propre profit. ”

L’Ethiopie et le Soudan figurent parmi les pays dans lesquels de grandes régions de terre sont ainsi achetées, alors qu’ils sont déjà tous deux fortement dépendants des aides d’urgence du Programme Alimentaire Mondial pour freiner la famine. La concurrence pour la terre et l’eau franchit dans les faits les frontières nationales sous forme d’acquisitions de terre, ouvrant un nouveau chapitre dans l’histoire de la sécurité alimentaire.

Notre civilisation de ce début du 21ème siècle montre des signes de tension à mesure que les différents pays entrent en concurrence, non seulement pour une ressource alimentaire devenue rare mais également pour la terre et l’eau qui la produisent. Les gens attendent de leurs gouvernements qu’ils garantissent la sécurité alimentaire. L’incapacité à le faire est indubitablement l’une des caractéristiques d’un Etat en faillite. Tous les ans la liste des Etats défaillants s’allonge, posant une question inquiétante: combien faudra-t-il d’Etats défaillants, avant que notre civilisation globale ne commence à se désagréger ?
“ Suivrons-nous les traces des Sumériens et des Mayas ou pouvons nous changer de cap - et le faire avant que le compte à rebours ne s’achève ? ” demande Lester Brown. “ Pouvons-nous mettre en place un modèle économique qui soit soutenable sur le plan environnemental ? Nous le pensons, et c’est le sujet de Plan B 4.0. ”

Les objectifs du Plan B sont de stabiliser le climat et la population, de supprimer la pauvreté, et de restaurer les systèmes naturels qui constituent le soubassement de l’économie. Ce plan passe par une réduction mondiale des émissions de carbone de 80 pour cent d’ici 2020, qui permettra de maintenir les concentrations atmosphériques en CO2 sous le seuil de 400 parties par million. “ En fixant ce but, ” dit Lester Brown, “ mes collègues et moi ne nous sommes pas demandés ce qui serait politiquement correct, mais plutôt ce qui il faudrait faire pour avoir une chance raisonnable de sauver la couverture glaciaire du Groenland, et au moins les plus grands glaciers des montagnes d’Asie”

La réduction des émissions de carbone exigera dans le même temps une révolution mondiale dans l’efficacité énergétique, et un passage du pétrole, du charbon, et du gaz aux énergies éolienne, solaire, et géothermique. La révolution de l’efficacité énergétique transformera tout, de l’éclairage au transport. En terme d’éclairage, par exemple, le passage des ampoules incandescentes aux lampes fluorescentes compactes peut réduire la consommation d’électricité de 75 pour cent. Mais avec le passage des incandescentes aux nouvelles diodes électroluminescentes (LEDs), combiné à l’utilisation de capteurs légers, cette réduction peut dépasser 90 pour cent.

Parmi les nouveaux modèles de moteurs hybrides essence-électricité rechargeables sur secteur arrivant sur le marché, au moins l’un d’entre eux peut faire plus de 85 kilomètres par litre d’essence. Dans l’Economie de l’Energie du Plan B, les hybrides rechargeables et les voitures tout-électrique composeront en 2020 la majorité de la flotte automobile, et elles fonctionneront en grande partie avec de l’électricité d’origine éolienne produite pour un équivalent essence de moins de 20 centimes d’euros par litre (hors TIPP ; ndt).

Le passage aux sources d’énergie renouvelables se produit à un rythme et à une échelle que nous ne pouvions pas imaginer ne serait-ce que deux ans en arrière. Considérez l’Etat du Texas. Le nombre énorme de projets éoliens en cours de développement, s’ajoutant aux 9 000 mégawatts de capacité de production éolienne en service et en construction, apportera au Texas plus de 50 000 mégawatts de capacité de production éolienne (pensez 50 centrales thermiques au charbon) quand toutes ces fermes éoliennes seront achevées. Cela couvrira largement plus que les besoins des 24 millions de résidants de l’état.

A l’échelle des Etats-Unis, la capacité additionnelle de production éolienne s’est élevée en 2008 au total à 8 400 mégawatts, contre 1400 mégawatts seulement pour les nouvelles centrales à charbon. La croissance annuelle de la capacité de production solaire rattrapera également bientôt celle du charbon. La transition énergétique est en marche.

Les Etats-Unis ont été les leaders mondiaux en terme de capacité additionnelle de production éolienne durant ces quatre dernières années, après avoir doublé l’Allemagne en 2005. Mais cette suprématie sera de courte durée puisque la Chine semble capable de rattraper les Etats-Unis dans ce domaine en 2009.

La Chine travaille avec son programme Wind Base sur six immenses fermes éoliennes avec pour chacune des capacités de production comprises entre 10 000 et 30 000 mégawatts, pour un total de 105 000 mégawatts. Cela s’ajoute aux centaines de plus petites fermes éoliennes construites ou prévues.

Mais l’énergie éolienne n’est pas la seule option possible. En juillet 2009, un consortium de sociétés européennes mené par Munich Re, et comprenant Deutsche Bank, Siemens, ABB, et une société algérienne, a annoncé un projet d’exploitation massive de l’énorme capacité de production solaire thermique en Afrique du Nord et à l’est de la Méditerranée. Une société allemande a calculé que les centrales solaires thermiques en Afrique du Nord pourraient fournir la moitié de l’électricité de l’Europe à un tarif compétitif. L’Algérie, qui a déjà terminé sa première centrale solaire thermique, a signé un accord pour fournir l’Allemagne en électricité d’origine solaire. Les Algériens mentionnent qu’ils ont assez d’énergie solaire dans leur désert pour faire fonctionner l’économie mondiale. (Non, ce n’est pas une erreur de frappe)

“ L’investissement en forte progression dans l’éolien, le solaire, et l’énergie géothermique, est motivé par la prise de conscience encourageante que ces énergies renouvelables peuvent durer autant que la terre elle-même, ” souligne Lester Brown. “ Contrairement à de nouveaux investissements pétroliers où la baisse des rendements des puits est l’affaire de quelques décennies, de même que dans des mines de houille où les filons finissent par s’épuiser, ces nouvelles sources d’énergie peuvent durer une éternité. ”
La combinaison des progrès en efficacité énergétique, du passage généralisé aux énergies renouvelables, et de l’expansion de la couverture forestière terrestre esquissée dans le Plan B permettrait au monde de réduire les émissions effectives globales de carbone de 80 pour cent d’ici 2020. Par contraste avec la situation globale actuelle du secteur de l’électricité où le charbon assure 40 pour cent de la production, le Plan B voit le vent émerger comme la pierre angulaire de l’Economie de l’Energie en 2020, fournissant 40 pour cent de la production.

Nous sommes engagés dans une course entre points de bascule politiques et points de bascule environnementaux. Pouvons-nous réduire assez rapidement les émissions de carbone pour sauver la calotte glacière du Groenland et éviter l’élévation associée du niveau des océans? Pouvons-nous fermer assez vite les centrales thermiques au charbon pour sauver au moins les plus grands glaciers de Himalaya et du plateau tibétain ? Pouvons-nous stabiliser la démographie par la baisse du taux de natalité avant que la nature ne le fasse d’elle même et stoppe la croissance démographique par la montée de la mortalité ?

Lester Brown affirme que oui. “ Mais il faudra quelque chose qui ressemble à une mobilisation de temps de guerre, semblable à celle des Etats-Unis en 1942 quand ils ont restructuré leur économie industrielle en quelques mois. On parle de sauver la planète, mais c’est la civilisation elle-même qui est maintenant en danger.

“Sauver la civilisation n’est pas un sport de spectateur. Chacun de nous doit pousser à une mutation rapide. Et nous devons avoir un programme définissant les grandes lignes de changements.

“ C’est l’heure de la décision ” dit Lester Brown. “ Comme les civilisations du passé qui ont rencontré des problèmes environnementaux, nous devons faire un choix. Nous pouvons poursuivre avec le modèle économique habituel et regarder notre économie décliner et notre civilisation se désintégrer, ou nous pouvons adopter le Plan B et être la génération qui se mobilise pour sauver la civilisation. Le choix sera fait par notre génération, mais il va affecter la vie sur terre pour toutes les générations à venir. ”

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Une présentation résumée du plan B sous forme de diaporama est disponible sur:
http://www.earthpolicy.org/Books/PB3/presentation.htm.(en anglais), et:
http://www.alternativeplanetaire.com/sites/alternativeplanetaire.com/files/docs/resume-PB3.pdf (en français)

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Pour s’abonner aux traductions des mises à jour du Plan B de l’Earth Policy Institute:
http://www.ecologik-business.com/inscription-newsleter-lester-brown.html

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http://www.alternativeplanetaire.com

Information complémentaire: www.earthpolicy.org

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