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169 - QUEL SERA LE COÛT DE LA RESTAURATION DES SUPPORTS NATURELS DE NOTRE ÉCONOMIE ?

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Publication du Earth Policy Institute
Extrait du livre "Basculement"
21 mars 2012

 

QUEL SERA LE COÛT DE LA RESTAURATION DES SUPPORTS NATURELS DE NOTRE ÉCONOMIE ?

 

texte original : http://www.earth-policy.org/book_bytes/2012/wotech10_ss4

Lester R. Brown, traduit par Marc Zischka, Franck Gressier, et Frédéric Jouffroy

Le Pakistan a subi ces deux derniers étés des inondations catastrophiques. Celle record survenue à la fin de l’été 2010 est la catastrophe naturelle la plus dévastatrice qu’ait jamais connue le pays. Les médias ont indiqué qu’elles avaient été provoquées par des pluies torrentielles, mais la réalité est plus complexe. Les forêts couvraient 30 % du territoire à la naissance de l’état du Pakistan, en 1947 ; aujourd’hui elles n’en représentent plus que 4 %. Le pays possède un cheptel bien plus important que celui des Etats-Unis. Entre l’absence presque totale de forêt et les dégradations causées par les troupeaux, il ne reste plus guère de végétation pour retenir les précipitations.

Le Pakistan, qui compte 185 millions d’habitants entassés sur une surface équivalente à la France et la Grande Bretagne réunies, est un cas désespéré écologique. Si le pays n’arrive pas à restaurer ses forêts et ses pâturages, le nombre et l'intensité des catastrophes “ naturelles ” ne pourront qu’y augmenter à l’avenir. L'expérience du Pakistan démontre très clairement pourquoi la restauration de la planète est une partie intégrante du
Plan B de l'Earth Policy Institute conçu pour sauver la civilisation. Remettre en état la Terre demandera un énorme effort international, dépassant de loin le Plan Marshall, qui aida à reconstruire l'Europe et le Japon dévastés par la Seconde Guerre mondiale. Cette entreprise devra en outre être menée à un rythme de temps de guerre, avant que la dégradation environnementale ne se traduise en déclin économique, comme cela s’est produit pour les Sumériens, les Mayas, et beaucoup d’autres civilisations du passé que nous connaissons par l’archéologie.

Nos écosystèmes sont le fondement de notre économie. Nous pouvons approximativement estimer les coûts correspondants à la reforestation de la planète, à la protection des sols arables, à la régénération des prairies et des pêcheries, à la stabilisation des nappes phréatiques, et à la protection de la diversité biologique. Le but n'est pas de donner des chiffres précis, mais plutôt de fournir un ensemble d'estimations raisonnables pour établir un budget de restauration global.

Le calcul des coûts de reforestation porte essentiellement sur les pays en développement, car la couverture forestière est déjà en expansion dans les pays industrialisés de l'hémisphère nord. Pouvoir répondre à la demande en bois énergie de plus en plus importante des pays en développement, sans érosion des sols, tout en rétablissant la stabilité des cycles hydrologiques demandera de planter environ 150 millions d'hectares de forets. Par ailleurs, de l’ordre de 30 millions d'hectares supplémentaires seront nécessaires pour la production de bois d'œuvre, de papier et d’autres produits forestiers.

Sur la base de 40 dollars pour mille plants (estimation de la Banque Mondiale) et de 2 000 plants à l’hectare, le coût des semis représente 80 dollars à l’hectare. Les coûts de main d’œuvre pour la plantation sont importants, mais puisque l’essentiel de cette main d’œuvre consistera de volontaires mobilisés localement, une hypothèse de 400 dollars à l’hectare paraît raisonnable, incluant à la fois les plants et la main d’œuvre. Avec un total de 150 millions d’hectares à replanter sur une décennie, soit à peu près 15 millions d’hectares par an, le coût annuel serait de 6 milliards de dollars.

Ces plantations effectuées dans le but de préserver les sols, de réduire les inondations, et de fournir du bois de chauffage, permettent aussi de séquestrer du carbone. Cependant, comme la stabilisation du climat est un objectif essentiel, nous comptabilisons séparément le coût de la plantation d'arbres pour séquestrer le carbone ; des centaines de millions d'hectares de terres peu productives pourraient à cette seule fin être boisées ou reboisées sur une période de 10 ans. Il s’agirait cependant d’une entreprise de nature plus commerciale, exclusivement centrée sur la réhabilitation de terres en friche et la séquestration du carbone, et donc d’un coût plus élevé. Celui-ci serait de près de 17 milliards de dollars par an, en adoptant une valeur de 200 dollars la tonne de carbone séquestré.

La préservation des sols, réalisée en ramenant leur taux d’érosion à celui de leur régénération naturelle, dépend de l’adoption de deux mesures. D’une part, il faut cesser d’exploiter les terres les plus sujettes à l’érosion et inadaptées aux usages agricoles : au niveau mondial , on estime que la moitié de la perte végétale se produit sur 10 % des surfaces arables. Aux Etats-Unis, cette mise en jachère a touché 14 millions d’hectares, pour un coût associé proche de 125 dollars à l’hectare. Au total, les agriculteurs américains reçoivent ainsi 2 milliards de dollars par an.

Cette estimation peut être étendue au reste du monde sur la base de cette proportion de 10 % de sols très sensibles à l’érosion, effectivement observée aux Etats-Unis ; ces sols doivent être reboisés ou convertis en prairies pour stopper le processus d’érosion et de désertification. Les États-Unis disposant d’un huitième des surfaces agricoles mondiales, le coût total annuel serait donc de 16 milliards de dollars pour l’ensemble de la planète.

La seconde mesure consiste en l’adoption de pratiques agricoles non destructrices sur les terres sujettes à une érosion excédant le taux de régénération naturel du sol.
Cela passe par des mesures incitatives pour encourager les agriculteurs à adopter des pratiques de conservation telles que la culture en courbes de niveau, en bandes alternées, et de plus en plus, par peu ou pas de labour. Là encore, en prenant comme hypothèse que les besoins pour ces pratiques sont similaires dans le reste du monde à ceux des Etats-Unis, le coût global associé rapporté aux surfaces en jeu serait de 8 milliards de dollars par an. L’ensemble des dépenses pour les deux composantes (16 milliards de dollars pour la mise en jachère des terres très sensibles à l'érosion et 8 milliards de dollars pour l'adoption de pratiques de conservation) représente donc un total annuel de 24 milliards de dollars au niveau mondial.

La Convention des Nations Unies sur la Lutte contre la Désertification propose une estimation des coûts de protection des pâturages : 183 milliards de dollars sur une période de 20 ans, soit 9 milliards de dollars par an. Ce plan se focalise sur les régions arides de la planète, qui englobent 90 pour cent de toutes les prairies, et préconise des améliorations dans la gestion des pâturages, des périodes de repos appropriées pour permettre la régénération de la végétation et des incitations financières pour éliminer le surpâturage.

Il s'agit d'une mesure coûteuse, mais chaque dollar investi dans la restauration des prairies donne un retour sur investissement de 2,50 dollars provenant de la meilleure productivité des écosystèmes. D'un point de vue sociétal, les pays où l’on recense une large population pastorale sont également ceux qui concentrent l’essentiel de la détérioration des pâturages et qui comptent systématiquement parmi les plus pauvres du monde. L'alternative à l'action (ignorer la dégradation) ne provoque pas seulement la perte de productivité des terres, mais aussi celle des moyens de subsistance, et créé à terme des millions de réfugiés. La restauration des terres fragiles a aussi un intérêt en terme de séquestration dans le sol du carbone atmosphérique.

Concernant la restauration des pêcheries, une équipe britannique de scientifiques menée par Andrew Balmford de l'Université de Cambridge a analysé les coûts de fonctionnement à grande échelle des réserves marines. Elle s’est appuyée sur des donnés collectées auprès de 83 réserves de relativement petite taille, gérées de façon efficace. Ces chercheurs ont conclu que la gestion de réserves couvrant 30 % de la surface mondiale des océans coûterait entre 12 et 14 milliards de dollars par an, mais ce chiffrage ne tient pas compte du supplément probable de revenu venant de la remise en état des ressources halieutiques, qui réduirait la facture globale.

La création d’un réseau mondial de réserves marines n'aurait pas pour seul enjeu la protection des pêcheries, mais pourrait aussi conduire à une augmentation des prises océaniques dont la valeur annuelle s’élève à 70 ou 80 milliards de dollars. Balmford suggère "qu’il est possible de préserver indéfiniment les mers et leurs ressources, pour des sommes inférieures aux subventions actuellement accordés à des modes d’exploitation non soutenables". La mise en place d’un réseau mondial des réserves-marines (le "Serengeti des mers", comme certains l'ont surnommé) permettrait également de créer plus d’un million d'emplois.

Dans de nombreux pays, les sommes nécessaires au financement d’un programme d’utilisation efficace de l’eau pourraient provenir de la suppression des subventions qui encouragent souvent le gaspillage de l'eau d'irrigation ; dans certains cas, ce sont des subventions à l’énergie, comme en Inde ; dans d'autres, ce sont des abattements substantiels sur le prix de l’eau, comme aux États-Unis. La suppression de ces subventions aura pour effet de renchérir le prix de l'eau, incitant ainsi à l’utiliser de façon plus productive. On peut estimer à 10 milliards de dollars annuels les coûts supplémentaires au niveau mondial. Ces dépenses couvrent entre autres les coûts de recherche et les incitations économiques en direction des agriculteurs, des industries et des municipalités, pour mettre œuvre des pratiques et des technologies consommant moins d’eau.

En ce qui concerne la protection de la vie sauvage, le Congrès mondial sur les parcs (WPC) estime que le déficit en financement annuel nécessaire à la gestion et à la protection des parcs naturels existants s’élève à près de 25 milliards de dollars annuels. Les autres dépenses nécessaires, dont celles relatives à la prise en charge de “ points chauds de biodiversité ” ne faisant pas encore l’objet d’une protection pas, coûteraient de l’ordre de 6 milliards de dollars par an, soit un total de 31 milliards de dollars.

Prise dans son ensemble, la remise en état des écosystèmes planétaires sur lesquels s’appuie l’économie (c’est à dire la reconstitution des forêts de la planète, la protection des sols, la restauration des pâturages et des pêcheries, la stabilisation des nappes phréatiques, et la protection de la biodiversité) va exiger une augmentation des dépenses limitée à 110 milliards de dollars par an. Beaucoup vont se demander si une telle dépense peut être supportée par l’économie mondiale. Mais la seule vraie question est de savoir si au contraire nous pouvons nous permettre de ne pas effectuer ces investissements.

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Ces informations sont une adaptation de "Basculement" de Lester R. Brown. Pour plus d'informations et de développement voir le livre complet sur : http://www.earth-policy.org.

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