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Crise(s) et dette(s) : implosion en vue ?

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5 septembre 2011

La crise qui a démarré en 2008 avec les subprimes, en dépit des déclarations de probable reprise relayées par les politiques et des économistes, se poursuit et entre dans un second acte, la crise de la dette dans la zone euro. Les premiers signes sont devenus visibles en 2010 : la crise grecque au printemps, puis la crise irlandaise en automne.

En Grèce, le déficit public est la cause d'inquiétude principale, et les pays de la zone euro et le FMI fournissent 110 milliards d'euros sous forme de prêts, ce qui conjoncturellement facilite la gestion des remboursements de l'Etat grec, mais structurellement plombe davantage sa dette. 
En Irlande, l'Etat jusqu'alors solide sur le plan financier, s'est endetté pour secourir les banques, fortement impactées par la crise des subprimes.

Ces banques, étaient au bord de la faillite, l'Etat a donc été au secours de la dette privée. On a ici une illustration du mécanisme circulaire à l'oeuvre, puisque in fine, cela conduit au déficit public qui aggrave la pression fiscale, qui augmente à son tour la dette privée. A l'interstice, on trouve des puissantes institutions financières qui prêtent aux Etats et aux entreprises/particuliers, et gagnent de plus en plus d'argent, mais se trouvent de plus en plus exposées par l'effet systémique des remèdes conjoncturels. Les profits récurrents et la spéculation créent des bulles financières virtuelles de plus en plus importantes ET risquées.

Le mot crise a une étymologie grecque qui renvoie à la notion de prise de décision. Quelles réelles décisions ont été prises depuis lors, sur un niveau systémique ? Comment en est-on arrivé là ? Aux crises des années 70 a succédé une période de faible croissance, dans les années 80, avec un tassement des salaires, et un taux de chômage en hausse. La réponse pour pouvoir poursuivre la nécessaire croissance a été de libéraliser les marchés et d'accélérer la mondialisation, faisant jouer la concurrence avec des pays à faible salaires. En Europe, on a observé une plus forte stagnation des salaires en Allemagne, qui bénéficie de plus de compétitivité et d'une balance commerciale excédentaire, mais n'en demeure pas moins endettée comme nous le verrons plus loin.
Le système financier s'est très fortement développé et a conduit à une financiarisation de l'économie, en créant des bulles spéculatives et en déconnectant les flux de transactions financières (virtuels) des flux de l'économie (réels) des biens et services. Aujourd'hui les transactions financières "virtuelles" sont 50 fois plus nombreuses que les transactions réelles.

Le souci c'est que les salaires contraints dans les économies des pays occidentaux devenaient le facteur limitant de la croissance, car des salaires faibles freinent la consommation. Pour débloquer cette situation, le crédit pour soutenir la consommation a été développé dans les années 1980 et 1990. Les limites de ce système ont été perçues à la fin des années 90 et dans les années 2000, préparant le terrain pour les crises contemporaines.

La crise de 2008 a vu les Etats (déjà endettés) secourir les banques pour éviter l'implosion du système financier, aggravant leur dette et augmentant la pression fiscale. Les banques ont alors spéculé sur les dettes nationales conduisant à la crise de la dette actuelle, surtout perceptible dans les Etats périphériques de l'Union Européenne (Grèce, Irlande, Portugal, Italie), mais aussi aux Etats-Unis où le problème de la dette fédérale a conduit à un abaissement de la note américaine par une agence de notation. Le vendredi 5 août 2011, Standard and Poor's annonce qu’il dégrade la note des Etats-Unis et déclenche une forte bourrasque sur les places boursières internationales.

Les agences de notation mesurent le risque de non-remboursement des acteurs économiques qui empruntent, sur des critères exclusivement financiers. Le marché de la notation est un oligopole constitué de Fitch Ratings, Moody's et Standard and Poor's qui se partagent 94% du marché. Leur pouvoir est considérable : en évaluant le risque (ou le niveau de solvabilité), elles influencent le taux d'emprunt consenti à l'emprunteur. 

Qu'en est-il plus globalement? Selon Richard Heinberg du Post Carbon Institute, "Les gouvernements, les entreprises et les ménages se sont endettés jusqu'au cou en se gavant de crédit facile. Le système financier a créé des titres toujours plus complexes et des systèmes dérivés pour aspirer toute cette dette et fait perpétuellement grimper des bénéfices imaginaires basés sur des actifs imaginaires. (…) Les gouvernements et les banques centrales ont tenté de regonfler la bulle avec des plans de sauvetage et de relance financés par la dette publique. "

Certes, la dette sert parfois à financer des investissements. S’endetter pour construire des infrastructures comme des écoles et des hôpitaux, est très différent de rembourser des intérêts ou payer les frais de fonctionnement d’un Etat dispendieux, ou encore financer plusieurs guerres à l'étranger. Nous sommes malheureusement plutôt dans cette dernière configuration, qui crée de la dette supplémentaire sans créer d'actifs. Cette situation simplement structurelle aggravera la situation actuelle par l'effet systémique de la dette. Examinons la situation de la zone Euro: quel niveau de dette existe dans les différents pays ?

En France la dette publique représente 83% du produit intérieur brut (PIB) fin 2010, (6e pays dans le monde le plus endetté selon ce ratio, juste devant le Portugal !), un endettement continu depuis la fin des années 1970 et un cumul de dette de plus de 1 600 Milliards d'Euros. Le pourcentage des titres détenus par des non-résidents était d’un peu plus de 54% en août 2005 et a atteint plus de 65 % en décembre 2008. La dette titrisée est donc de plus en plus détenue par des investisseurs étrangers.

En Italie, la dette publique cumulée s'élève également à plus de 1 600 Milliards d'Euros, ce qui suscite l'inquiétude des marchés car le montant de la dette représente 120% du PIB. La Grèce, autre pays exposé à la dette, est sous le feu des projecteurs médiatiques. Sa dette publique totale est de 350 milliards d'euros, ce qui représente 158 % du PIB à la fin de 2011. En allant plus loin (voir annexe), on s'aperçoit que tous les pays, sans exception, sont endettés. Si toute la zone Euro est gangrénée par la dette, faut-il regarder en direction des deux autres places fortes de l'économie mondiale pour espérer trouver des Etats créditeurs ?

Le Japon a une dette publique qui représente 189 % du PIB, en première place mondiale ! La situation engendrée par la catastrophe de Fukushima ne permet pas d'attendre une amélioration rapide de la situation, puisque c'est l'état japonais qui finance désormais TEPCO, l'opérateur en charge des centrales accidentées. 

Aux USA, l'envolée de la dette a débuté en 1910 (2,6 Md de $), et a connu une seule baisse depuis, après la crise de 1929, avant de s'envoler de nouveau (multiplication par 5 dans les années 1940-50 : qui a dit que la guerre c'était bon pour l'économie?) Plusieurs autres multiplications ont suivi : X 2,4 entre 1970 et 1980, X 3,5 entre 1980 et 1990, X 1,75 entre 1990 et 2000, et X 2,4 entre 2000 et 2010 pour atteindre un total de 15 154 milliards de dollars (environ 10 500 milliards d'euros), soit 88 % du PIB et 13e endettement public mondial selon ce ratio, mais aussi le premier par le montant cumulé. Cette dette est donc également en croissance continue…depuis 100 ans ! Comme la plupart des pays de la zone euro, les États-unis sont confrontés à une dette exponentielle qui met leurs finances en danger. Un accord politique a été trouvé le 1er août pour relever le plafond de la dette américaine et éviter un défaut de paiement. Traduction : l'Etat a le droit de s'endetter davantage, ce qui ne résout rien sur le plan systémique, et lui a valu, comme nous l'avons vu, un déclassement d'un cran (seulement) de sa note de confiance.

Si aucune zone économique des pays développés ne se trouve en excédent, où sont les pays créditeurs ? A la fin décembre, la Chine détenait 894,8 milliards de dollars en bons du Trésor. On peut dire qu'elle détient finalement assez peu des 9 700 milliards de dollars de titres de la dette publique des Etats-Unis. Il n'y a pas vraiment d'Etats créditeurs. La dette publique est dans les mains d'institutions financières, qui les ont titrisées et ont réussi à les revendre … à d'autres institutions financières. Il existe donc un imbroglio des dettes publiques titrisées au plan international, qui se résume à des créances détenues par des banques, qui les ont revendues à d'autres banques.

Comme le serpent de la dette commence à se mordre la queue, il faudra très probablement s'attendre à une crise financière globale majeure dans les mois ou années qui viennent. En effet, la baisse de 20% subie en quelques semaines en août 2011 (notez que le mot krach a été soigneusement évité dans les médias), suite au déclassement de la note de confiance n'est que conjoncturelle et témoigne de l'extrême fragilité des marchés. C'est par ailleurs une réponse disproportionnée suite à cette annonce. Le pouvoir des agences de notation est immense, mais leur crédibilité peut être questionnée. Comment accorder des notes AAA (Risque nul pour le créancier) à des pays lourdement endettés comme la France et l'Allemagne ? Et la seconde note au Etats-Unis, champions du monde de la dette ; pendant que la Grèce reçoit la note BB+ ? (voir échelle des notations en annexe). N'oublions pas que ces mêmes agences ont aussi donné la meilleure note aux subprimes.

Résumons nous, tous les Etats des pays "riches" sont lourdement endettés, et cette dette est détenue par des organismes financiers qui les ont en partie titrisés. Les bulles dans les bulles commencent à éclater, les Etats colmatent le système en aggravant la dette et en devenant de plus en plus assujettis à la sphère financière. Pour se remettre à flots, ils font tourner la planche à billets en reportant ainsi la charge de la dette aux ménages qui payent ce dont ils ont besoin de plus en plus cher, limitant leur pouvoir d'achat. Ces ménages sont aussi des citoyens dont les modes de consommation évoluent bien souvent … vers moins de consommation ! Cela ne laisse donc pas augurer d'une croissance de la consommation permettant de sortir de l'ornière dans l'immédiat.

Puisque nous sommes sur le plateau du pic pétrolier, reste à attendre, le plus sereinement possible le début de la descente, qui entrainera des tensions encore plus sévères dans l'économie réelle, capables de disloquer les derniers restes de confiance et conduira à une crise ultime.

Cette crise ultime verra l'effondrement successif des bulles spéculatives érigées, donc des marchés financiers, des organismes bancaires, avec de sévères dommages dans l'économie réelle. Cette faillite du système est inéluctable tant que le paradigme principal des financiers au pouvoir, à savoir le toujours plus, ne changera pas. Cet effondrement financier contraindra les Etats à prendre des mesures concertées capables de gérer la situation sur un plan systémique. Sinon, la suite verra des développements géopolitiques, voire des révoltes populaires capables de faire vaciller la stabilité des Etats et plongera le monde dans une nouvelle phase de chaos généralisée. Si aucun changement systémique n'apparait au niveau institutionnel, il appartient aux individus de travailler ensemble au sein de leurs communautés et de leurs entreprises pour renforcer leur résilience, et limiter ainsi les effets de la crise.

Marc Zischka

Annexes:
1) Sources

http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_pays_par_dette_publique

https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/

2) Récapitulatif pour la zone Euro:

Les pays de la zone euro
(année adhésion euro) Dette publique brute (% du PIB) Classement
Allemagne 

(1999) 78,8 à 83,2 21e
Autriche
(1999) 70,4 26e
Belgique
(1999) 98,60 10e
Chypre
(2008) 61,10 32e
Espagne
(1999) 63,40 29e
Estonie
(2011) 7,70 124e
Finlande
(1999) 45,4 59e
France
(1999) 83,5 16e
Grèce
(2001) 144 5e
Irlande
(1999) 94,2 11e
Italie
(1999) 118,1 8e
Luxembourg
(1999) 6,6 114e
Malte
(2008) 69,10 27e
Pays-Bas
(1999) 64,6 28e
Portugal
(1999) 83,2 17e
Slovaquie
(2009) 41 67e
Slovénie
(2007) ND 35,5 82e

3) Comparaison de la zone euro à 16, aux États-Unis et au Japon 
Source : Banque de France

Zone euro États-Unis Japon
Population 2009 (en millions)
329,1 306,7 127,5
Taux de chômage 2009 (en %) (1)
9,4 9,3 5,1
PIB 2009 (en milliards d'euros PPA) (2)
8 387,3 10 555,9 3 111,5
PIB par habitant 2009 (en euros PPA) (2)
25 480 34 330 24 400
Croissance en volume du PIB 2009 (en %) (1)
4,0 2,6 6,3
Déficit public 2009 (en % du PIB)
6,3 11,3 7,1
Dette publique 2009 (en % du PIB)
79,2 84,41 92,8
Évolution des prix à la consommation 2009 (en %) (1)
0,3 0,4 1,4
Évolution de la production industrielle 2009 (en %) (3)
14,9 11,1 21,8
Évolution des ventes au détail en volume 2009 (en %) (1)
1,8 4,4 2,0
Exportations 2008 (en % du PIB) (4)
41,8 12,9 17,5
Importations 2008 (en % du PIB) (4)
40,8 17,9 17,4
Solde des transactions courantes 2008 (en % du PIB)
0,8 4,7 3,2
Taux d'intérêt à long terme 2009 (1)
4,0 3,3 1,4

(1) : en moyenne annuelle.
(2) : PPA : parité de pouvoir d'achat. 
(3) : hors bâtiment, en moyenne annuelle. 
(4) : biens et services.

4) Comparatif des notes et des dettes des pays de la zone euro , ainsi que le montant total de leur dette.
AAA-Risque nul pour le créancier
Allemagne – 1 446 milliards de dollars
Autriche – 242 milliards de dollars
Finlande – 89 milliards de dollars
France – 1 571 milliards de dollars
Luxembourg – 3 milliards de dollars
Pays-Bas – 380 milliards de dollars
AA L’émetteur est fiable
AA+ 
Belgique – 403 milliards de dollars
AA
Espagne – 657 milliards de dollars
Irlande – 383 milliards de dollars
Slovénie – 16 milliards de dollars
AUn risque faible est présent
A+ 
Chypre (non disponible)
Italie – 1.988 milliards de dollars
Slovaquie (non disponible)
A
Malte – 5 milliards de dollars
A-
Portugal – 159 milliards de dollars
BB : Risque de spéculation
BB+
Grèce – 383 milliards  de dollars
source : la Tribune, 28/04/2010

5) Suite de l'échelle de notation selon le barème de l'agence de notation Standard and Poor's :
BBB : Solvabilité moyenne
B : Probabilité de remboursement incertaine
CCC : Risque important de non-remboursement
CC : Emprunt spéculatif, risque de faillite
D : L’emprunteur est en faillite 

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